Dans Maternités Rebelles, Judith Duportail partage ses années d’enquête sur une maternité possible en dehors du mythe du couple et de l’amour romantique. Sur les pas de Judith Aquien, de Renée Greusard, de Johanna Luyssen, ou de Eva Illouz, elle emprunte le chemin d’une pensée alternative, libérée d’un cadre normatif hétérosexuel pour aboutir à la décision de faire un enfant seule. Depuis 2021, faire famille autrement devient possible avec la PMA (Procréation Médicalement Assistée) élargie à tous les couples lesbiens et les femmes sola. Journaliste féministe spécialisée dans les intimités contemporaines, Judith Duportail invite ses sœurs de guerilla heureuse à reparcourir à ses côtés sa lente sortie de l’ignorance qui maintient le ventre des femmes sous la coupe de croyances anciennes infondées.
La trentaine ou les années panique
Free the eggs ! clame-t-elle dès le premier chapitre faisant un sort à cette fameuse horloge biologique dont la grande aiguille nous fracasse la tête avec la trentaine, jetant sur nos organes le soupçon de la péremption imminente comme un vieux yaourt oublié dans le fond du frigo, car, à en croire les offres des publicitaires pour cryogéniser nos œufs ou encore le site de l’OMS, privés et institutions publiques s’accordent pour dire que nos ovaires flétrissent à partir de 35 ans et que nos chances de tomber enceinte s’écroulent drastiquement dès cet âge couperet. Compte à rebours enclenché.
Judith Duportail s’est prise au jeu du doute et s’est demandé sur quelles études se fondaient les résultats de cette assertion scientifique. Je n’en revenais pas, à la lecture des pages sur ce qui ressemble à une révoltante fumisterie, de comprendre que le nuage de poussière se dispersait dès lors qu’on scrutait un tant soit peu les données. Pouf ! Pouf ! Ce « 35 ans » fatidique reposerait sur des données de registres paroissiaux français compilés entre 1670 et 1830 ! Je ne vous gâche pas le plaisir de ce passage en le divulguant ici. Courez lire sur quelles absurdités, nos peurs sont bâties, sur quelles connaissances erronées reposent nos hontes à ne pas enfanter assez tôt dans nos vies de femmes. Explosé en vol le tic-tac obsédant rabâché à toutes les femmes coupables de vivre une vie à elles, pas pressées d’enfanter dès leur puberté. Bing !
Le backlash des faiseurs de discours
Derrière l’épouvantail de la fertilité en berne des femmes, derrière l’urgence du « réarmement démographique » de nos utérus se dissimulent surtout des discours idéologiques qui veulent renvoyer les femmes à une vie domestique où elles sont plus faciles à dominer que libres à parcourir le monde, vivant leur sexualité et leur fécondité comme elles l’entendent. En réduisant encore et toujours les femmes à un destin biologique, ces discours cherchent à réduire la liberté de choisir de celles qui se voient imposer la force du temps qui passe. Et si on doutait de l’existence d’une mouvance conservatrice sur ce sujet, tournons-nous vers Mediapart qui dès 2021 « avait révélé l’existence d’un rapport du parquet général de Paris consacré à l’extrême droite radicale évoquant sa « porosité idéologique » avec les groupes masculinistes. Il montrait que la construction d’une masculinité hégémonique est l’un des moteurs d’action des terroristes d’ultradroite contre la « décadence » de la société. »
Ne laissons pas nos ennemis coloniser nos cerveaux
Après avoir remis l’horloge à l’heure, Judtih Duportail fait un sort à l’égoïsme présumé de celle qui font des bébés solas. Une vie sans enfants vaut la peine d’être vécue, au même titre qu’une vie avec enfants. La seule chose qui compte et que revendiquaient déjà les militantes du MLAC dans les années 70 est la question du désir d’enfant, le reste est accessoire. Quand on dit des mères solas qu’elles ne pensent qu’à elles, l’autrice rétorque qu’il ne faut pas nous y tromper :
Nos ennemis ne s’inquiètent pas du tout pour nos enfants. Sinon, ils soutiendraient les politiques d’aide aux mères célibataires, pour nous aider à créer les cocons sains et sécurisants dont ont besoin les enfants. Sinon, ils ne nous stigmatiseraient pas. S’ils s’inquiétaient vraiment d’un manque de présence masculine, ils militeraient pour l’embauche de davantage d’hommes dans les crèches, les écoles, et tous les métiers de l’éducation. Ce n’est pas ça qui leur importe. Ils estiment plutôt que nous ne méritons pas d’être mères.
Alors si, un soir, prise de culpabilité, vous fléchissez, bizutée que vous êtes par la pression sociale, n’oubliez pas que vous n’êtes pas qu’une égoïste qui préfère sa carrière, cette irresponsable qui chante tout l’été et se fait bien biser quand le vent de la vieillesse s’abat sur elle, pas une qui congèle ses oeufs comme on met au frais un petit plat Picard pour le dimanche soir où on aura la flemme de cuisiner. Non. De même celle qui a recours à la FIV ou à l’insémination pourrait bien avoir besoin d’un bon tatouage dans la paume de sa main « Nos corps, nos choix ». La PMA est un droit, usons-le puisqu’il ne s’use pas.
De la loi à la réalité du terrain médical
Si, sur le papier, la loi de bioéthique de 2021 autorise l’accès de presque toutes les femmes à la PMA (en sont exclues les personnes trans et avec un IMC trop important), dans les faits la médecine reproductive érige des parcours différenciés selon la situation affective des personnes qui déposent une demande d’accompagnement à l’enfantement, et le dossier des soupirant.es doit être validé par un collège de professionnel.les pour entrer dans le parcours médicalisé, collège qui selon toute apparence continue parfois d’être guidé par des aspirations d’un autre siècle. Ainsi, on apprend que les femmes seules sont désignées comme « non mariées » dans les dossiers, rappelant que nous fûmes longtemps ces éternelles mineures que Napoléon a bien assises tranquillement à l’ombre de l’autorité du père de famille dans son Code Pénal de 1810. On y découvre aussi que ces mêmes femmes sont orientées vers une consultation avec une assistante sociale afin de s’assurer que les besoins fondamentaux de l’enfant seront bien satisfaits. Il est toutefois juste de se demander à l’instar de notre autrice pourquoi les couples ne bénéficient pas de la même prise en charge psycho-affective au début du parcours. Sans doute la femme qui décide pour elle seule a de quoi faire frémir les tenants de l’ordre. Avec un accès facilité à la maternité, la femme sort d’une sphère de contrôle par une autorité symbolique : après le père, le mari, après le mari, le médecin peu importe son genre. Les médecins réunis en conseil qui s’interrogent sur « l’intérêt de l’enfant » à naître lors d’une PMA sont-ils aussi enclins à s’interroger sur la « responsabilité » de tous les futurs parents ? Citant les travaux de Camille Froidevaux-Metterie dans Un corps à soi, Judith Duportail prend la voix de la philosophe pour rappeler que :
le patriarcat est l’organisation de la société autour de la possession du corps des femmes. L’organisation de leur disponibilité sexuelle et maternelle. Même pour celles d’entre nous qui ne sont pas concernées directement par ces discriminations, nous sommes toutes visées. Choisir qui peut avoir accès à la PMA, c’est garder le contrôle sur nos corps.
La gynécologie, un lieu de révolution.
Notre histoire nous le rappelle. Nous fêtons en novembre 2024 les 50 ans d’un débat incontournable pour l’accès à l’IVG. Simone Veil, portée par la légitimité de militant.es, de médecins, de célébrités, et de femmes ordinaires, enfonçait la porte de la légalité avec son discours devenu fameux. Déjà en 1973, des personnes désobéissaient et pratiquaient des IVG dans et hors du milieu hospitalier. Il n’est qu’un pas pour relier ce geste de résistance à celui de celles et ceux qui pratiquent des inséminations pourtant interdites dans des cabinets de nos jours pour venir en aide à des patientes malmenées. Tant reste à faire.
Judith Duportail dédie la dernière partie de son livre à son récit personnel, elle déplie par le menu les mois qui l’ont conduite à son devenir parente. Aujourd’hui mère de jumeaux, elle revient sur les affres dans lesquelles le milieu hospitalier a pu la placer. Anéantie par le rigorisme des équipes médicales qui lui ont refusé l’accompagnement auquel nous devrions toutes pouvoir prétendre (la présence d’un.e proche, peu importe son lien avec nous, la possibilité de rester la nuit dans la chambre pour aider au repos, la prise en charge des douleurs liées aux suites de couches), elle arme ses sœurs de destin de tous les conseils qu’elle a pu glaner et les organise dans un memorandum final, sorte d’ABC pour survivre en milieu hostile quand on est une (future)mère sola. Mais, au-delà des préconisations à destination des femmes en parcours PMA, ce partage d’expérience enclenche une réflexion plus large sur une refonte générale de la prise en charge des femmes dans les maternités.
Dans les premières semaines, voire mois, de sa vie, un nourrisson se réveille toutes les heures et demie environ, car son cerveau n’est pas capable de se régénérer sur de plus longues périodes. A trois mois, la fin officielle du « congé maternité », un très grand nombre de bébés se réveille encore plusieurs fois dans la nuit. […] Pendant les premiers mois de vie de nos enfants, il est considéré comme normal que nous ne soyons plus en capacité de remplir un de nos besoins vitaux. Que nous souffrions donc intensément. Faut-il rappeler les conséquences dramatiques du manque chronique de sommeil ? Maux de tête, irritabilité, dérèglement hormonal, anxiété, affaiblissement du système immunitaire, dépression, AVC, suicide. Le suicide est la première cause de mortalité maternelle en France lors de la première année de l’enfant (Inserm, 2024)
En commençant par écouter leur voix, on améliorera étonnement les scenarii de naissance. Combien de femmes s’échouent dans une dépression post-partum, épuisées par l’ expérience inédite de l’accouchement ? Combien se retrouvent hospitalisées dans des unités mères-enfants au coût social exorbitant ? Combien enchainent des nuits sans sommeil alors qu’elles pourraient bénéficier d’une aide nocturne ? Quand entendra-t-on nos demandes ? Ce n’est pas faute d’hurler pourtant dans l’indifférence générale.
Elle rêvait de tenir un ranch dans le Wyoming, mais sa phobie de l’avion l’a poussée à embrasser la carrière d’enseignante à Montreuil pour partager sa passion des grands espaces littéraires.