Le 4 mars 2024, la France devenait le premier pays au monde à inscrire le droit à l’IVG dans sa Constitution. Un symbole, mais pas seulement : le signe d’une inquiétude, un rempart contre la multiplication des remises en question de ce droit acquis par les femmes avec des variable d’ajustement selon les pays. S’il est un droit toujours fragile à protéger ici, il est encore à conquérir ailleurs : c’est le cas au Maroc, où comme dans bien d’autres pays, l’avortement n’est autorisé qu’en cas de danger avéré pour la santé de la femme. Pour rappel, voici la très instructive carte relative au droit à l’IVG dans le monde établie par la revue La Déferlante (publication dans le n°13 intitulé « Avorter : une lutte sans fin », mars 2024).
Fedwa Misk, autrice, journaliste et militante féministe marocaine a choisi la bande dessinée pour aborder courageusement le sujet, en compagnie de la dessinatrice Aude Massot. Des femmes guettant l’annonce, paru aux éditions Sarbacane, met en scène trois femmes lancées dans un road trip tantôt cocasse et émouvant, toujours révoltant, entre Casablanca et Agadir. Objectif : trouver un médecin qui acceptera de pratiquer une IVG clandestine pour Lila et Malika. Chacune a ses raisons de vouloir interrompre sa grossesse, les parcours de vie de l’une et de l’autre semblent aux antipodes et si l’épreuve les rassemble, c’est aussi le rire, la poésie et la solidarité qui les unissent. La troisième larronne, c’est Nisrine, amie de longue date de Lila, militante féministe et femme trans qui livrera elle aussi un peu de son parcours où pointent rupture familiale et opprobre sociale. Mais quelle est « l’annonce » que guettent nos héroïnes en écoutant la radio sur les routes ? Suite à la mort d’une femme après une IVG, le débat fait rage entre les deux camps, et nos trois amies espèrent une décision politique qui changerait leurs vies. Le trio va ainsi de clinique en dispensaire en passant par une guérisseuse, mais partout les obstacles apparaissent : refus de médecins effrayés par les risques encourus, pilules abortives monnayées à des prix exorbitants, vétusté des installations faisant craindre pour leur santé, inefficacité voire dangerosité des remèdes dits naturels vendus eux aussi à prix d’or… Ce qui apparaît surtout au cours du périple de notre trio, c’est la débrouille, le bouche à oreille, les bons plans chuchotés à la va-vite dans une salle d’attente, les numéros de téléphone griffonnés discrètement : l’incroyable entraide dont font preuve les femmes et en même temps l’immense solitude dans laquelle elles sont laissées par les institutions lorsque la législation ferme hypocritement les yeux sur une pratique rendue dangereuse par la clandestinité. Finalement, ce n’est pas un trio qui évolue sous nos yeux mais tout un réseau d’amies de toujours, d’inconnues qui resteront dans l’anonymat, de compagnes d’infortune qui feront ensemble un bout de chemin. C’est la foule des femmes résolues à rester maîtresses de leurs ventres et de leurs destins, partout et tout le temps, face à ceux qui brandissent la morale, la religion ou les traditions pour décider à leur place. Cela rappelle les (rares) récits d’avortement pré-1975 en France, Annie Ernaux en tête1. Et là encore la débrouille, l’entraide, les réseaux, le Do It Yourself façon MLAC (le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception qui pratiquait des IVG clandestines formait aussi des femmes pour les rendre capables de se substituer aux médecins en avortant par la méthode Karman celles qui cherchaient à interrompre une grossesse. Le MLAC a fait l’objet du très beau film de Blandine Lenoir, Annie Colère, en 2022).
La forme du road trip est séduisante tant elle donne de la légèreté à ces femmes en mouvement, en quête de leur liberté. Mais elle résonne aussi avec la situation très concrète de bien des femmes de par le monde qui doivent sans cesse se déplacer pour espérer accéder à un avortement libérateur. Comme celles qui doivent elles aussi aller de clinique en clinique en Italie, où l’avortement est légal mais rendu très difficile d’accès par la clause de conscience brandie par bon nombre de médecins pour ne pas le pratiquer, comme celles qui depuis l’abrogation du décret Roe vs Wade aux Etats-Unis doivent traverser plusieurs états avant de pouvoir accéder à l’IVG. La liste est longue et désespérante, pourtant avec Des femmes guettant l’annonce, Fedwa Misk nous laisse entrevoir une lueur d’espoir, notamment en ne tombant jamais dans le piège de caricaturer ses personnages, mais en leur autorisant la complexité, les contradictions et les doutes.
Pour finir, pas de road trip sans bande son alors je vous livre la chanson qu’écoutent nos trois acolytes dans leur quête de liberté et d’émancipation, la bien nommée My Body, my Choice de Naïka !
1 L’autrice nobélisée a écrit en 2000 L’événement, récit de son avortement clandestin pratiqué en 1964.
Après s’être aperçue qu’en 116 ans d’existence le Goncourt avait été attribué à 12 femmes et 104 hommes, elle s’est dit que certes, une chambre à soi et un peu d’argent de côté ça pouvait aider à écrire des livres – et que les femmes manquaient souvent des deux – mais qu’il y avait quand même, peut-être, un petit problème de représentation dans les médias. C’est ainsi qu’elle a décidé de participer à Missives, heureuse de partager son enthousiasme pour les autrices qui la font vibrer, aimer, réfléchir et lutter.