Isabelle Sorente est une scientifique avant d’être romancière. Aujourd’hui connue et reconnue à plus d’un titre dans le milieu féministe pour ses publications et interventions, son timbre d’écriture résonne de la puissance du nombre d’or, cette alchimie parfaite du rythme qui conjugue le mot engagé à la bonne place et l’éminent pouvoir du « parler vrai » du roman choral.
Isabelle Sorente est loin d’en être à son coup d’essai mais je découvre l’autrice avec ce roman, qui conte dans une fable contemporaine les destins croisés de trois individus d’une famille qu’une ou plusieurs générations séparent. Vina, expulsée temporairement de son lycée pour avoir menacé un jeune homme, Elisabeth, sa mère, patronne de son entreprise, et Thomas, le grand-oncle d’Elisabeth, dans sa maison vosgienne à la lisière de la forêt et à portée de rapaces, vont alterner leurs récits entre les années 1920 et nos jours.
Sans dévoiler cette intrigue aux confins de la constellation familiale où l’abandon semble être le dénominateur commun des protagonistes, la vertu libératrice de l’exil dans un premier temps, et de la parole dans un second temps, confèrent à cette histoire une portée universelle, « parce qu’on est si vulnérable quand on n’est plus celui qu’on était, mais pas encore celui qu’on va devenir ». Que celle ou celui qui ne rêve pas de se libérer de ce qui l’enchaîne malgré lui, qui au passé, qui à des tiers, qui à un lieu ou un souvenir, me jette la première pierre. Thomas, le vieil oncle, porte l’armure du « Malgré-Nous », Alsacien enrôlé de force par l’armée allemande, et diffuse cela dans toute sa généalogie.
« L’amour qu’elle avait éprouvé la veille, ce sentiment si profond et délicat qu’il semblait avoir créé entre eux un nouveau réseau de nerfs, venait de se changer en effroi, et les nerfs invisibles qui la reliaient à Thomas commençaient à vibrer de douleur tandis que le démon de l’abandon, qu’elle avait cru calmé et apaisé, la possédait de nouveau. »
Les secrets que chacun.e porte et qui se dévoilent dans les pages de ce roman d’apprentissage suivent l’analogie féerique de l’envol de ce faucon qui a choisi Thomas en pleine guerre des tranchées comme étant l’élu, sur le front russe, et dont la présence va illuminer tout le roman. Isabelle Sorente, qui décrit les courbes aériennes et les sensations associées avec grâce et sensualité (est-ce en lien avec son brevet de pilote ?) choisit une mère faucon en pleine « maternité », comme fil rouge de son livre, et les nombreuses références aux petits et grands combats féministes – les tribus de guerrières mongoles, le débat sur les mères porteuses en Inde, le harcèlement scolaire, « la guerre des sexes », etc. – révèlent en filigrane la permanence du sujet à travers les 70 dernières années. La femme et l’Oiseau est de surcroît placé sous l’envergure majestueuse des rapaces, et plusieurs paragraphes rendent grâce à l’accointance divine avec ces oiseaux en une sublime puissance lyrique.
Vina bataille avec le sentiment qu’on lui a volé le choix de sa naissance, Thomas subit son destin de « malgré-nous » et porte la fatalité familiale de la déportation de sa fratrie. La filiation, le déterminisme et la maîtrise de son sort sont autant de thèmes épluchés à travers ces deux destinées qui se retrouveront en communion dans le mystique, la lecture d’un ailleurs céleste et la méditation. Elisabeth, malmenée dans sa vie de femme et de mère, nourrit des réflexions parentales des plus communes et partagées : où se situe la frontière dans ce qu’on lègue à nos enfants entre cadeau et boulet de bagnard ?
« Comme nos enfants (…) nous en veulent de les avoir arrachés à la normalité ! bien sûr qu’ils ont raison. Nous avons refusé la norme, nous avons refusé ce qui était le plus probable (…) Et maintenant.. Ils cherchent. »
Isabelle Sorente déploie une fabuleuse sensibilité pour nous conter là une quête bouleversante qui mêle l’Histoire à nos transmissions familiales universelles dans une ode à la nature et au vivant hors du commun.
Entourée de sœurs, tantes, nièces, au cœur d’un gynécée familial, observant la nature depuis toujours et œuvrant dans le domaine agricole depuis 15 ans, Clémence a eu maintes fois l’occasion de se dire que la figure féminine, animale ou humaine était plus souvent exploitée que dirigeante. Malgré tout, en noyant son bonheur dans le thé et le vin de noix, elle s’accroche au fait qu’à chaque instant, dans chaque situation, l’éveil des consciences reste possible, et expérimente chaque jour qu’il n’y a de plus belle valeur que la sororité.