Les Missives ont voulu en savoir plus. En exclu, cette interview d’elles-mêmes pour faire la lumière sur un jeu inédit : la première scopa féministe au Monde !
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Pourquoi développer un jeu féministe ?
Pour semer des graines féministes ! Le jeu de société est un outil idéal pour questionner l’égalité.
C’est une façon d’ouvrir un dialogue sur les problèmes de représentativité, de dénaturaliser ce qu’on a pris pour un ordre toujours valable où le roi « bat » la dame, avec toute l’imagerie de violence et de domination que cela charrie. On propose un autre monde possible et par le fait d’y jouer et d’y adhérer avec plaisir, on le rend possible.
On s’inscrit aussi dans un mouvement plus large qui dans le sillage de la vague #MeToo, voit une nouvelle génération de jeux qui déconstruisent les représentations sexistes encore prégnantes dans le secteur du jeu. Cela part souvent d’un constat, d’une indignation, comme celle d’Indy Mellink cette Néerlandaise de 23 ans qui a imaginé un jeu de cartes, appelé GSB Playing Cards, dont l’objectif est de supprimer les inégalités de sexe et de race qui envahissaient selon elle les jeux de cartes.
L’édition des jeux engagés, c’est un nouveau terrain de jeu féministe ?
Oui, on peut dire que de nos jours une ludothèque en dit autant sur une personne que les livres qu’elle lit. C’est un peu un prolongement des réflexions qu’on peut aborder en littérature féministe. Moi c’est Madame entraîne notre riposte face aux agressions sexistes ; Les Foufounes nous invitent à associer des vulves variées dans un jeu de mémory détonnant ; Le Who’s she développe notre connaissances des grandes figures inspirantes ; Ok not Ok aborde le consentement à l’ère des #balancetonporc ; Bad Bitches Only renouvelle le time’s Up à la sauce féministe ; L’oracle féministe explore les voies du tarot divinatoire.
On garde aussi notre indépendance en fabriquant son propre jeu. Souvent financés grâce à des campagnes de financement participatif, les jeux échappent ainsi à une mainmise normative des éditeurs classiques de jeux. Ces éditeurs cherchent à satisfaire un besoin commercial, à plaire à un public large ; si dans certains cas, apposer le mot « féministe » sur un jeu joue sur un effet tendance, il peut faire grimacer un certain nombre. S’autoéditer c’est s’assurer qu’on dessinera, qu’on représentera et qu’on écrira ce qu’on veut. C’est une vraie expérience de liberté !
Quelle est la place des créatrices de jeux dans le secteur ludique ?
Ces cinq dernières années, même si le phénomène est compliqué à quantifier, à cause des campagnes informelles de financement parfois peu visibles, on estime que beaucoup de femmes embrassent la création de jeux, ce qui infléchit les thèmes mis en avant dans les jeux puisque ces femmes vont davantage prôner des valeurs d’égalité, de sororité, et lutter contre des masculinités toxiques. Apprendre à se définir sans recourir au masculin, étalon universel, c’est important.
Évidemment, les hommes occupent largement les postes à responsabilité des grandes maisons d’édition de jeux ; c’est pas innocent en terme de choix, d’orientation des jeux, ils vont pas forcément promouvoir ou soutenir les initiatives de créatrices qui restent très minoritaires. Leur nom d’autrice de jeux est souvent accompagné de celui d’un homme ou d’un époux. Observez le palmarès des As d’Or, le festival international du jeu qui a lieu à Cannes en mars depuis 1988 : en trente ans, trois femmes ont été primées seulement ! C’est mieux qu’au festival du film de Cannes qui en 74 ans n’a primé que deux femmes pour la Palme d’Or. [Rires sans fin d’une Missives]
La Scopa est un jeu de cartes traditionnel, né en Espagne au 16e siècle. Vous l’avez redessiné intégralement en remplaçant les rois et les cavalières par des reines et des guerrières, et en transformant les valets en enfants non genrés. Quel est le but que vous recherchez en recomposant ainsi l’imaginaire du jeu ?
La scopa était un jeu 100% masculin : par les figures dessinées sur les cartes ( roi/ cavalier/ valet) mais aussi par sa pratique. Ce sont majoritairement des hommes qui y jouent entre hommes dans des cafés, à des terrasses dans un espace social encore trop souvent genré et dont les femmes sont exclues ou accueillies avec suspicion et moqueries. Le jeu reste encore trop souvent sous l’emprise de remarques sexistes ; le « Tu joues comme une fille » n’a toujours pas quitté les terrains de jeux quels qu’ils soient.
Ensuite, on s’est dit qu’on devait participer nous aussi à faire bouger les lignes, à prendre notre part du fardeau féministe, parce qu’il reste encore des briques à exploser de la grande bâtisse du Paternel ! Toutes ces questions au cœur de nos chroniques et de nos rencontres littéraires se prolongent sous une autre forme parce qu’on a besoin de respirer, de soupapes, d’aborder la violence des rapports hommes femmes sous un angle plus léger. Dans ce collectif féministe et littéraire, on est amené à lire beaucoup de témoignage des viols, de violences, on évoque les féminicides, c’est très lourd et parfois on éprouve la nécessité de gagner en légèreté… Mais en même temps, jouer est politique ! On entend souvent que nos luttes sont sectorielles voire sectaires, que d’autres combats sont prioritaires, qu’on affaiblit la lutte alors qu’on est convaincues que toutes les luttes doivent se mener ensemble et que le jeu c’est un terrain propice au rassemblement
Quels sont les retours du public lors des ateliers d’initiation à la Scopa des Amazones ?
La simplicité des règles assure une prise en main rapide du jeu. Et les parties qui durent une vingtaine de minutes s’improvisent au débotté sur un coin de table. La Scopa, c’est une jeu auquel tout le monde peut jouer, du CP à l’Ephad, il suffit de savoir compter jusqu’à 10 ! On peut y jouer dès l’âge de 5 ans, l’occasion de renforcer l’agilité des enfants en calcul !
On s’enflamme très vite en jouant à la scopa, et le côté badass prend rapidement le dessus. Nos réserves mondaines fondent et on se surprend à frapper la table quand on balaie le tapis d’un « scopa ! » victorieux.
Que diriez-vous à celleux qui trouveraient votre jeu sexiste parce qu’il ne propose que des figures féminines ?
En imaginant la scopa des Amazones, on voulait participer à l’équilibre du monde à notre façon. Les jeux de cartes traditionnels sont souvent inégalitaires, car les femmes y occupent une place de moindre valeur qu’un personnage masculin. Notre jeu n’a pas évacué les hommes, ils sont juste partis ramasser des baies dans leur panier, ils rattrapent des siècles privés des plaisirs de la vie domestique et ils perdurent sous la forme d’enfants. A nos détracteurs – s’il y en a – on répondra, comme Michelle Lapierre-Dallaire à la fin de son livre, « you can all go fuck yourselves »[1]
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[1] Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok, de Michelle Lapierre-Dallaire, Le nouvel Attila, 2023.
Elle rêvait de tenir un ranch dans le Wyoming, mais sa phobie de l’avion l’a poussée à embrasser la carrière d’enseignante à Montreuil pour partager sa passion des grands espaces littéraires.