Mes trompes, mon choix ! de Laurène Lévy : un enfant SI je veux

Le féminisme des années 70 avait placé au cœur du volcan politique la conquête des droits reproductifs. Arraché de haute lutte, le droit à la contraception et le droit à l’avortement furent sans doute la plus grande révolution sociale du XXe siècle puisqu’ils libéraient le corps des femmes de la condition maternelle qui leur était imposée. Les femmes allaient pouvoir accéder au choix d’avoir ou non un enfant, de garder ou non un enfant. Cette « bataille de la procréation » comme la nomme Camille Froideveaux-Metterie a encore un dernier chapitre à écrire comme un dernier geste pour soustraire absolument le corps féminin à la domination masculine. Ce dernier chapitre, c’est celui de la stérilisation contraceptive, un sujet encore trop peu connu en France et dont Laurène Levy a fait un livre Mes trompes, mon choix ! Stérilisation contraceptive : de l’oppression à la libération. Retour sur un objet incontournable de notre savoir féministe, à mettre entre toutes les mains et à inscrire dans toutes les formations médicales.

Journaliste scientifique spécialisée dans le domaine de la santé, Laurène Levy fait le point sur un sujet de société qui fait encore tabou : elle s’interroge sur le faible recours à la stérilisation en France et sur les derniers leviers à activer pour démocratiser la pratique d’une contraception définitive.

Qui a peur des ventres asséchés ?

Le corps féminin est celui qui reproduit la main d’œuvre dont le capital a besoin pour prospérer, il porte aussi les individus mâles qui constituent des lignées d’hommes. On voit l’enjeu que revêt le contrôle de ce corps productif dans le cadre d’une société patriarcale et capitaliste. S’émanciper du devenir mère met donc en péril l’identité symbolique féminine asphyxiante qui voudrait qu’on se définisse par rapport à des enfants ou à un mari. Et cette vision en fait frémir plus d’un, si l’on en croit les réactions des entourages, du milieu médical ou encore des anonymes sur les réseaux sociaux qui crient à la disparition de l’humanité quand on présente l’alternative contraceptive de la stérilisation. Si on tolère que des femmes d’âge mûr, avec deux ou trois enfants déjà au compteur, aient recours à cette solution contraceptive, il en va différemment des jeunes femmes ou de femmes âgées qui font valoir leur désir de se faire stériliser. Le cauchemar le plus ultime étant celui de la « grève des ventres ». Celles qu’on appelle les « nullipares » (au secours, 0 pointé pour le nom !), les childfree ou les SEnVol (comprendre « sans enfant volontairement ») font réagir notre société pronatalité et ébranle son obscurantisme.

Laurène Levy s’est demandée pourquoi on frémissait encore d’accéder à la demande de femmes qui souhaitent déposer durablement le poids de leur fécondité pour entrer dans une sexualité libérée de la crainte d’une grossesse non désirée. Renouer avec le jouir sans entrave, sans plastique, et sans chimie.

Des mentalités qui évoluent moins vite que la loi

Seules 4.1% des Françaises recourent à une stérilisation contraceptive. Ce chiffre paraît ridicule à côté de la norme : la capote, la pilule et le DIU (dispositif intra utérin) remportent tous les suffrages des méthodes contraceptives, sans doute parce qu’ils sont réversibles. Ouvrez un manuel de SVT de 4e en collège : je suis prête à parier qu’on n’y retrouvera pas la stérilisation parmi les contraceptions existantes. On n’enseigne pas la contraception définitive parce qu’elle entre en conflit avec ce que le milieu médical a longtemps défendu : l’inviolabilité du corps, comprendre que toute opération de stérilisation revient à mutiler puisqu’il touche à l’intégrité physique. C’est notamment sur ce point que les débats légaux ont achoppé de nombreuses années. Jusqu’en 2001, on consentait à stériliser quelqu’un si on pouvait justifier de raisons médicales valables ou de mise en danger en cas de grossesse. Depuis 2001, la loi dit qu’on peut stériliser toute personne qui en fait la demande sans restriction.

Le sexisme du corps médical : les brutes en blanc

Martin Winckler qui préface l’ouvrage Mes trompes, mon choix ! rappelle tristement que de trop nombreuses femmes doivent essuyer des humiliations, des injonctions à la maternité déplacées quand elles consultent pour être stérilisées. En 2014, #Payetonutérus révélait, entre autres violences gynécologiques, le parcours de combattantes de celles à qui on opposait le regret qu’elles pourraient éprouver plus tard, leur immaturité, leur désir d’enfant inconscient, leur instabilité psychologique. Des paroles aberrantes quand on sait qu’on ne demande pas à de futurs parents s’ils sont certains de désirer l’enfant à venir, s’ils peuvent fournir un certificat de santé psychologique, s’ils ont les finances nécessaires aux soins éducatifs…

Quand la stérilisation volontaire a été rendue légale par la loi du 4 juillet 2001, je me suis dit : « Les individus vont enfin pouvoir décider librement. »

Je me trompais. Même quand la loi change, les mentalités ont du mal à bouger. Lorsque j’ai cessé de pratiquer au centre de planification, fin 2008, je ne comptais pas le nombre de femmes que j’avais adressées à des chirurgiens pour une intervention désormais légale et qui, en colère et humiliées, ressortaient de leurs cabinets avec une fin de non-recevoir et sous un torrent d’insultes, de moralisation et de mépris paternaliste.

Martin Winckler, préface de Mes trompes : mon choix ! de Laurène Levy.

A côté de la frilosité des médecins, Laurène Levy met à jour plusieurs raisons qui retardent la diffusion large d’une pratique qui a pourtant fait ses preuves à l’étranger depuis plusieurs décennies. Les États-Unis la propose aux femmes depuis 1960 soit 40 ans avant la France ! Si elle n’a pas infusé les pratiques médicales, c’est qu’elle porte en elle le récit des stérilisations subies dans nos imaginaires habités de récits glaçants.

Stérilisation sous contrainte : les heures sombres de l’Histoire

Parmi les objections et les idées reçues à faire taire, on trouve en bonne position l’argument d’une pratique qui a fait scandale parce qu’elle a été détournée de son caractère émancipateur pour être retournée en instrument de contrôle démographique.

La stérilisation forcée est connue, selon l’autrice, depuis le XVIe siècle en France ; on y avait recours pour castrer et stériliser les criminel.les sexuel.es. Le corps qui s’éloigne de la norme est sanctionné et on tente alors de lui ôter sa capacité de reproduction pour juguler la réplique du crime qu’on pense héréditaire. De la même manière, Laurène Levy revient sur les pratiques de la stérilisation forcée chez les déficients mentaux, pratique eugéniste qui s’est développée dans les hôpitaux psychiatriques des États-Unis à l’Europe fin XIXe siècle et au cours du XXe siècle avant de connaître son apogée horrifique dans les camps de concentration nazis. Avec l’idéologie raciste qui sous-tend ces mutilations à grande échelle, on comprend que le but poursuivi est celui d’une amélioration de l’espèce humaine, impatiente de se séparer des corps jugés « inférieurs » : Juives et Juifs, handicapés, asociaux furent assimilées à des populations à charge, des bouches à nourrir qui grévaient les finances publiques d’une société affaiblie par les crises de l’Entre-deux-guerres.

On retrouve cette même volonté génocidaire de refuser à une catégorie de la population le droit d’exister, qui inclut celui du droit de se reproduire : les canadiennes autochtones, les ouïghoures, les indiennes du Pérou. Faire baisser la démographie d’un groupe humain en contrôlant sa natalité revient à souhaiter son annihilation. L’engagement de la communauté internationale peine encore actuellement à s’organiser pour condamner rigoureusement des pratiques de stérilisation subie sur le territoire chinois notamment.

Sur le territoire français, Laurène Levy nous rappelle que la fécondité des corps n’a pas toujours été l’objet d’un même traitement. Quand les corps de femmes réunionnaises sont avortés et stérilisés sans consentement dans les années 70, les corps de femmes métropolitaines sont priés de se soumettre à la volonté politique nataliste et de ne pas freiner leur fécondité. Deux poids, deux représentations, deux mesures. La fertilité des corps noirs et pauvres effraie l’État. On tente alors de limiter les naissances dans les territoires ultramarins pour éviter tout ferment révolutionnaire. Entre terreur de la disparition de l’humanité par assèchement des ventres et délire du mythe raciste du grand remplacement, la stérilisation contraceptive souffre d’un lourd fardeau à déposer avant d’avancer sur le chemin d’un corps qu’on se réapproprie.

Tout est question de consentement

Consentir. Le mot est la clé de voûte d’une relation vertueuse entre patiente et médecin. Si la clause de conscience peut amener un médecin à refuser de pratiquer l’acte de stérilisation car contraire à ses valeurs et à ses convictions, elle ne doit pas oblitérer le devoir de ne pas assourdir la patiente avec des considérations morales malvenues. Les maltraitances médicales psychologiques s’ancrent trop souvent dans une relation inégalitaire où la patiente reçoit de façon vulnérable des reproches et des rappels à l’ordre qu’elle n’appelle pas, d’autant qu’hommes et femmes ne sont pas reçu.es de la même manière par leur médecin traitant, gynécologue ou urologue.

Accéder à la stérilisation : un terrain de différenciation marqué.

Que celles qui ont déjà exprimé à leur médecin traitant le souhait d’avoir recours à une stérilisation contraceptive et qui se sont vues proposer en première intention un rendez-vous avec un psychologue, que ces femmes lèvent le doigt ! Je vois de nombreuses mains s’élever autour de moi. Parce que faire valoir son droit à la stérilisation définitive reste en France un parcours de la combattante pour les femmes qui veulent se libérer de leur fécondité, de méthodes hasardeuses, d’une prise d’hormones mensuelle, ou d’un dispositif intra-utérin. Pourquoi accepte-t-on plus facilement de couper le canal par lequel arrive les spermatozoïde que de ligaturer les trompes pour que l’ovule ne puisse plus rencontrer le spermatozoïde, rendant impossible toute fécondation et développement d’une grossesse ? Tout fonctionne comme si on tentait de décourager les femmes de se lancer dans l’aventure de la stérilisation, quand on ne fait aucune difficulté aux hommes.

Les quatre mois de réflexion imposés au patient après avoir retiré son dossier de demande chez un professionnel sont bien souvent décuplés pour les femmes. Laurène Levy rapportent le cas d’hommes volontaires pour une vasectomie, surpris de la facilité de la démarche :

C’est aussi le cas d’Adrien, 36 ans : « J’ai pris rendez-vous chez mon médecin traitant, puis chez un urologue. L’avantage d’être un mec sans doute, le dialogue qui a eu lieu a été :

–  » Vous êtes sûr de ne pas vouloir d’enfants ?

– Oui.

– Ok. On prend rendez-vous pour dans quatre mois. »

… quand pour les copines, ça ressemble à un combat de plusieurs années avec parfois au bout l’abandon par lassitude :

De Julie, 31 ans, mère de quatre enfants, qui a fini par « abandonner l’idée de la ligature des trompes » après « trois ans de démarches, dix gynécologues qui [l’] ont envoyée balader malgré deux IVG sous contraceptifs et une fausse-couche sous stérilet.

Quand les colleuses revendiqueront la stérilisation

En revenant sur l’histoire de cette pratique médicale qui a été fortement contrainte par des textes de lois et des jugements moraux au cours du XXe siècle, Laurène Levy appelle du coude les complices qui œuvrent dans la rue.

Entre lourde charge symbolique et marchepied pour acquérir une nouvelle forme d’émancipation, la stérilisation contraceptive a bien du mal à trouver sa place. […] Décourager, infantiliser, moquer les personnes qui demandent une stérilisation, en particulier si ces personnes sont des femmes, est monnaie courante dans les cabinets médicaux. Ces violences verbales sont non seulement la preuve d’une domination patriarcale de la société sur nos corps, mais aussi celle d’un paternalisme médical persistant. […] Car il est plus difficilement toléré pour une femme qu’elle n’envisage pas d’avoir d’enfant, que ce soit par ses médecins, ses proches ou sa famille. Et pour cause : accepter qu’une femme choisisse la stérilisation comme contraception, c’est accepter qu’elle se dissocie de sa fonction reproductrice. C’est accepter qu’une femme qui a enfanté décide à un moment de sa vie qu’elle ne veut plus porter d’enfant. C’est aussi accepter qu’une femme existe par elle-même, à part entière, avec ou sans enfant. C’est, enfin, mettre un terme au symbolisme qui associe encore et toujours la femme et la mère. Et ne plus condamner celles qui choisissent un autre chemin que celui de la maternité.

Pour qu’une loi votée en 2001, il y a plus de 20 ans, devienne réellement accessible, il faut la faire exister partout, se saisir de toutes les occasions, recouvrir tous les murs avec cette sortie de l’injonction à la parentalité, avec la clameur partout en lettres capitales collées :

MES TROMPES : MON CHOIX !

Et si vous avez des doutes sur le fait qu’on peut repousser ou regretter une maternité dans la joie, trainez du côté des Very Bad Mother.

Retrouvez Laurène Levy au Festival des Murs à Pêches samedi 27 mai à 18h au 77 rue Pierre de Montreuil, 93100 MONTREUIL pour une rencontre littéraire animée par les Missives.