On voudrait s’aimer mieux. Mais comment faire quand on cumule les mandats : en couple hétérosexuel, cohabitant, parental, noyé dans les eaux troubles du patriarcat ?
Quelle idée de continuer à vivre en couple ! Nous sommes pourtant alerté.es de toutes parts. Mona Chollet se demandait si on pouvait encore sauver le coupe hétéro dans Réinventer l’amour. Charge mentale, humiliations sexistes, désillusion de la performance sexuelle, conditionnement à nos rôles préécrits d’hommes et de femmes dès la prime enfance, on devrait jeter l’éponge et l’eau de la machine à laver avec, si ce n’était l’intuition que le ver n’est pas dans l’union mais dans les structures du patriarcat qui dicte au couple ses règles de vie.
La compagnie théâtrale malicieuse et savante des Filles de Simone réitère le coup de burin contre la statue de Grand Commandeur qu’est l’oppression patriarcale. Déjà en 2020, on avait adoré le spectacle Les secrets d’un gainage efficace qui arrachait des poils aux aisselles, parlait vulve et règles dans une écriture ravageuse qui mêlait intime et politique. On surprenait les discussions passionnées d’un collectif féministe, qui tapait du pied, du poing et assénait de façon bordélique et jouissive les enjeux modernes des combats féministes sur les corps dans la lignée des mères des années 70. Lors d’une flânerie chez un bouquiniste, Les filles de Simone avaient trébuché sur le classique « Notre corps, nous-mêmes », dans sa version d’origine (depuis le texte a été réactualisé grâce aux éditions Hors d’atteinte en 2019) et ont eu l’idée de s’inspirer de cette méthode horizontale qui s’appuyait sur la collecte de témoignages, des processus à l’oeuvre dans les groupes de parole, des schémas, des tableaux, des graphiques, des données médicales et scientifiques pour écrire un spectacle qui s’adossait à la question de la honte du corps chez les femmes.
Elles reviennent avec leur nouveau spectacle, Derrière le hublot se cache parfois du linge, faire éclater les zones d'(in)confort et crever le script de nos rôles si bien établis.
Sur scène, un trio formé de deux femmes et d’un homme compose, décompose et recompose des couples en thérapie qui se débattent avec l’érosion de la libido, l’éternelle tasse sale qui traine partout dans la maison menaçant l’équilibre précaire des consentements mutuels, interrogent le quotidien terne loin de la comédie musicale teenmovie qu’on nous avait promise façon Grease : Jonh Travolta traîne plutôt en peignoir sur le canapé, drapé dans sa mauvaise foi de mâle prêt à décaniller à la première pétarade, quant à Olivia Newton Jonh, elle réclame à corps et à pleurs le droit d’exprimer des émotions trop souvent piétinées et ignorées, piégée elle aussi dans une image d’hystérique victimaire.
La frontalité des corps tourne parfois à l’affrontement. On tente de sonder le vrai, de démasquer les entourloupes et les petits arrangements du couple hétérosexuel. On règle ses comptes, tandis que les mines silencieuses sur la chaise d’à côté en disent long.
Comme à son habitude, la mise en scène s’amuse de notre patrimoine, de nos héros gonflés et portés par le souffle des femmes tapies dans leur ombre historique. Elle manie l’art du détournement d’objet avec talent : le tuyau d’aspirateur se fait arrivée d’oxygène du cosmonaute, les murs de salle de bain deviennent le support d’un cours hilarant sur la schématisation des rapports de domination entre hommes et femmes, façon sociologie de pièce carrelée : les mâles « alpha » d’un côté, les femmes « bêta » de l’autre, on rit de nos théories qui rejoignent fâcheusement les stéréotypes de genre !
L’écriture scénique, si elle badine classiquement avec des saynètes vaudevillesques ou des parodies de tragédie (le terrible Othello glace le sang sur fond de violences faites aux femmes) n’hésite pas à prendre le contrepied des codes du théâtre et se paie l’audace de débuter par la fin ! Sans gâter la surprise, le bord de plateau de fin de spectacle, moment galvaudé de discussion sur le spectacle entre acteurices et public est ici l’occasion de lancer le ton : on déjoue d’emblée les suspicions partisanes, et les tartes à la crème féministes. Le prologue désarme subtilement toute envie d’en découdre.
Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères, et André Antebi, l’ « homme de la situation », l’ « échantillon » ne manquent ni d’air, ni d’humour pour incarner ces lieux communs du couple, puisent dans leur matériau intime pour mieux toucher le coeur universel en chacun.e. Alors en sortant, leurs mots, leurs réponses tatônnantes et modestes tournent dans nos têtes comme la machine à laver qui trône au centre du plateau, symbole des discordes triviales, mais aussi du cycle éternel basse température dans lequel nous sommes brassés. On attend la fin du programme pour s’entendre penser : comment vais-je moi aussi réinventer le couple ?
On court voir le spectacle en janvier au Monfort Théâtre (15e) du 10 au 21 janvier !
Informations sur la tournée IDF et Régions :
7 et 8 mars SARTROUVILLE (78) – Théâtre de Sartrouville Yvelines CDN
11 mars LE KREMLIN-BICÊTRE (94) – ECAM – Espace Culturel André Malraux
14 mars RIOM (63) – Le Rexy
16 mars AMIENS (80) – Maison du Théâtre
23 mars CAVAILLON (84) – La Garance – Scène nationale de Cavaillon
24 mars CARROS (06) – Forum Jacques Prévert
25 mars ISTRES (13) – Théâtre de l’Olivier
28 mars LE VESINET (78) – Théâtre du Vésinet / 30 mars EAUBONNE (95) – L’Orange Bleue
3 mai BOUGUENAIS (44) – Piano’cktail
23, 24 et 25 mai NANCY (54) – Théâtre de La Manufacture CDN / juillet AVIGNON
Avec André Antébi, Tiphaine Gentilleau, Chloé Olivères
Direction d’acteur.ices Claire Fretel
Création lumières Mathieu Courtaillier
Scénographie Emilie Roy
Costumes Sarah Dupont
Chorégraphie Jeanne Alechinsky
Elle rêvait de tenir un ranch dans le Wyoming, mais sa phobie de l’avion l’a poussée à embrasser la carrière d’enseignante à Montreuil pour partager sa passion des grands espaces littéraires.