Youpi, c’est Halloween, l’occasion idéale d’aller dézinguer du zombie, pulvériser du vampire et faire réfléchir les démons de ce monde et de l’autre à leurs choix de vie avant de conclure d’un carreau d’arbalète et d’une punchline assassine. En tout cas, c’est ce que Buffy m’a appris.
Mais si vous préférez vos inspiratrices un peu moins fictives, on peut aller jouer avec Jane Austen, Mary Shelley, Ann Radcliffe et les sœurs Brontë, hein.
Elles n’ont pas de super-pouvoirs et mènent peu de combats stylés contre des créatures démoniaques, dites-vous ? Permettez-moi de vous corriger. Vous avez dû passer à côté des cinq novellas qui composent la Ligue des écrivaines extraordinaires. Projet lancé en financement participatif par les Moutons électriques il y a deux ans, la série parie sur le face-à-face entre deux univers et deux équipes de choc. D’un côté, les autrices du XIXe, en l’occurrence Jane Austen, Ann Radcliffe, Mary Shelley et les sœurs Brontë, dotées parfois de pouvoirs surnaturels, parfois d’une solide aptitude à la bagarre, et toujours d’un tempérament coriace (autrement dit : faut pas trop les faire chier et elles sont pas venues pour être des petites choses en détresse mignonnes et sympas). De l’autre, les monstres classiques de la littérature fantastique de l’époque, avec un soupçon d’influence pulp-Hammer pour faire bonne figure : Dracula, Frankenstein, le loup-garou, la momie et Carmilla. L’hommage explicite à Alan Moore et à la Ligue des gentlemen extraordinaires exige la présence d’un mentor : ici, le rôle est tenu par Mme Leprince de Beaumont, dont le fantôme assigne les missions à ses prometteuses héritières. Cinq novellas, cinq face-à-face, cinq plumes pour les raconter.
Comme je suis une chroniqueuse bordélique (qui a raté le financement participatif comme une andouille et s’est retrouvée à lire en epub), j’ai naturellement commencé par les deux derniers sans m’en rendre compte. Ann, Charlotte et Emily Brontë contre la Momie est signé par Nelly Chadour, dont je vous conseille, si vous voulez prolonger l’ambiance Halloween, Avant 7 jours1. Emily assure le show en essayant de sauver son pochtron de frère, de lande ténébreuse en ruelle brumeuse, tandis qu’Ann et Charlotte se retrouvent en pleine cérémonie de dévoilement d’antiquités égyptiennes au musée, en compagnie de l’éditeur qui ignorait tout de leur identité féminine… c’est fun, c’est plein de références, c’est le British museum sous le fog meets les meilleurs moments de La momie avec Rachel Weisz et Brendan Fraser mais en encore plus épique. Quant à Ann Radcliffe, Mary Shelley et Jane Austen contre Carmilla, on le doit à Elisabeth Ebory, qui vient de sortir La Famille de l’Hiver et le Roi-fée. L’ambiance ici est clairement celle du roman gothique, entre secrets, romances, deuils et trahisons, avec le fantasme vénitien qui va bien – mais une Venise brumeuse et hantée, pleine de couvents suspects, de palais sinistres et de troubles séductions. Les trois écrivaines extraordinaires sont forcées de coopérer par la gravité des événements, mais font bien savoir qu’obéir aux consignes et se plier aux règles avec le sourire, ça n’a jamais trop été leur truc… et la séductrice Carmilla a ses propres démons, et pas seulement au sens propre. Pour le début de la série, vous pourrez découvrir Jane Austen contre le loup-garou (Marianne Ciaudo), Ann Radcliffe contre Dracula (Bénédicte Coudière) et, ce n’est que justice, Mary Shelley contre Frankenstein (Cat Merry Lishi).
Un bon petit shot d’hommage fantastique de saison donc, pour toutes celles qui préfèrent savourer leur dose d’horreur ou de gothique sans demoiselle en détresse. Et, en filigrane, une sacrée envie de (re)découvrir la vie et les romans d’écrivaines incroyables, qui ont inventé des genres littéraires entiers et marqué l’histoire romanesque de leur siècle, malgré toutes les embûches. Et quand on a été capable de faire ça, on va pas se laisser impressionner par des vampires, tout de même.
1 En quelques lignes pour vous le conseiller : un fort chouette roman young-adult-mais-pas-que, avec une île secrète dont l’ambiance féérico-flippante est assurée par le cocktail phénomènes bien chelous + communauté fermée d’adultes qui cachent des trucs, et qui répond à la question : et si Stephen King avait écrit des romans où le mal est affronté par des héroïnes lesbiennes et handies et pas juste des bandes de p’tits gars ?
Mélanie se balade depuis pas mal d’années dans les mondes littéraires et ludiques de l’imaginaire, avec un peu de recherche universitaire sur les mythes, les âmes et les dragons, un peu d’écriture de nouvelles, et beaucoup de lecture. De temps en temps, elle en sort parce que les programmes de l’Éducation nationale exigent qu’on parle d’autre chose aux lycéen·nes. Elle est convaincue qu’il y a des milliers de trésors à partager en SF et en fantasy, et que le cocktail héros couillu, mentor barbu et récit convenu n’y est pas une fatalité.