Quand j’ai montré la couv’ de Fiévreuse plébéienne à ma potine, elle a dégainé direct : « Ça sent le film de cul de M6 des années 90…»` À quoi j’ai répondu : « Pas du tout. C’est une réécriture gouine-punk de Dirty Dancing ». J’aurais pu ajouter « Poétique ». Car Élodie Petit, son autrice, est performeuse, plasticienne et poète. Elle est membre des autriX qui forment le RER Q qui avait participé au très remarqué Lettres aux jeunes poétesses, d’ailleurs chroniqué sur Missives par Lucie Barrette, à lire ou à relire par ici .
Poète et pirate. Comme son modèle revendiqué, l’écrivaine féministe pro-sexe Kathy Acker, Elodie Petit pratique le plagiat avec une joie rageuse. Quand Acker, dans son roman culte Sang et stupre au lycée, réécrivait à la hache le classique de la littérature américaine La lettre écarlate, Elodie Petit transpose, elle, les amoures de Johnny Castle et Bébé qui passent le plus clair de leur temps à prendre des drogues et à faire de la sexe entre femmes. Car, dans Fiévreuse plébéienne, les personnages connus au masculin, comme les noms communs, s’accordent au féminin. Johnny Castle, Antonin Artaud, Arthur Rimbaud et Michelle Foucault sont femmes, tout comme les amoures, la corps ou la sexe deviennent noms féminins.
Comme toute poète qui se respecte (pour rappel Victor Hugo en personne se targuait d’avoir mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire), Elodie Petit bouscule et déconstruit la langue et la société qui va avec. Au milieu de sa réécriture de Dirty Dancing, elle brandit sans prévenir son « Manifeste des poètes vivantes ». De page en page, la langue puissamment libre devient une arme qui abolit le genre, langue avec laquelle la poète semble finir par se confondre dans son « Manifeste de la langue bâtarde » :
«Elle est exigeante, intense, en boucle, anxieuse.
Elle est belle parce qu’elle est vraie, simple,
directe, touchante, mal agencée.
Elle pleure facilement, elle rit aux larmes,
elle est psychée.
Elle utilise le plagiat.
Elle se serre.
Elle détourne.
Elle pille.
Elle suce.
Elle a un problème avec la drogue.
Elle n’en a jamais assez.
Elle en veut toujours plus.»
Les trois pages de ce deuxième manifeste sont écrites blanc sur noir (et non noir sur blanc) comme pour révéler (j’avais envie de dire manifester, mais ça devenait répétitif) le renversement opéré par la langue.
Dans sa quête linguistique et littéraire, Elodie Petit convoque de nombreuses icônes féminines de la littérature, fiévreuses prédécesseuses : Violette Leduc, Monique Wittig, Marguerite Duras ou encore Renée Vivien, alias Sapho 1900, Etele Adnan, poétesse franco-américano-libanaise, et bien sûr Kathy Acker avec lesquelles la poète dialogue dans la dernière partie de son œuvre.
Mais Fiévreuse plébéienne ne parle pas que de langue et de littérature. La poésie de Petit est érotique, amoureuse et pornographique, frontalement gouine. Ça parle de cul sans autre détour que celui d’une langue sur une chatte humide. Et c’est à la fois jouissif et réjouissant. Voilà pour la fièvre que je risquerais de faire baisser sous les 37°, si je tentais de la décrire davantage avec mes mots paracétamol.
La deuxième dimension de la poésie de Petit, c’est la plèbe. Une poésie prolo qui transporte au-delà du périph, où l’on rencontre HLM, RSA, PMU, personnages en quête d’amour et de beauté, qui savent ce qu’elles n’ont pas :
« on n’a pas de maison ou de propriété, des endroits où recevoir et des lieux remplis de souvenirs sur des générations. […] On ne se déploie pas facilement, on garde beaucoup, on existe, on se raconte peu. On n’a pas de filet de sécurité, pas de résidence secondaire, pas de soupape, pas d’économie, pas de repos. On manque d’envergure »
(Ces deux pages sont sublimes, j’ai coupé, comme une chroniqueuse dégueulasse, mais je voulais essayer de donner une idée de la puissance littéraire en jeu). Des femmes révoltées, forcément révoltées, par celleux qui performent la précarité (guide fourni par la poète p. 59). La fièvre érotique se mue en fièvre politique.
Le tout est servi par le formidable travail éditorial des Éditions du commun qui ont choisi pour donner corps à l’engagement de Petit la typographie Baskervvol, une police gender fluid avec des ligatures inclusives imaginées par la collective franco-belge Bye Bye Binary.… « Gnêee ??? », vous entends-je gémir de l’autre côté de votre écran… Pouf pouf, reprenons calmement, le projet est important et mérite qu’on s’y intéresse :
- La police = ce truc que vous utilisez tous les jours dans votre traitement de texte avec des noms évocateurs comme Arial, Times ou Garamont pour les plus connues.
- Ligature = fusion de deux ou trois lettres, comme dans œuvre (on utilisait beaucoup le procédé au Moyen-Age pour gagner de la place, du coup, oui on peut aussi appeler ça abréviations, si ça vous aide)
Les gentes de Bye Bye Binary ont donc imaginé une typographie inclusive qui permet de zapper le point médian (même si c’est pas si dur de taper Alt+0183 en fait). Histoire de démontrer par A+B aux réacs de la langue que l’écriture inclusive peut être non seulement tout à fait lisible, mais aussi vivante, belle et rebelle, comme celle d’Élodie Petit.
Louise Katz a eu une mère féministe. Privée de Barbie et inscrite de force à l’aïkijudo, elle met 20 ans à devenir la pouf à rouge à lèvres qu’elle a toujours rêvé d’être. Doctoresse ès littérature latine, elle aurait aimé prendre le pseudo de Doktor SS et mixer du disco-punk dans des usines abandonnées. Finalement, elle devient journaliste et entrepreneuse. Elle aime les femmes qui pensent et les femmes qui font, les sages et celles qui font des doigts. Et bien sûr celles qui lisent et celles qui écrivent.