Elvire Duvelle-Charles est la créatrice du compte Instagram @clitrevolution, un espace féministe où parler de sexe sans tabou, avec nos joies, nos peines et nos craintes sur le sujet. C’est aussi un lieu où s’informer sur les méthodes d’activisme qui sont multiples car il n’y a pas de petites actions, que des bonnes volontés prêtes à lutter contre le patriarcat.
Elvire Duvelle-Charles est une combattante. Un compte Instagram très suivi donc mais également une série documentaire du même nom réalisée avec Sarah Constantin et un ouvrage écrit avec la même comparse, Clit révolution : Manuel d’activisme féministe. Être féministe c’est avoir beaucoup d’idées sans toujours savoir comment les concrétiser.
Le 17 février dernier, a été publié son dernier ouvrage, à l’origine son Mémoire de master en études de genre. Une analyse des rapports houleux entre le féminisme et les réseaux sociaux. Une suite « d’expériences ambivalentes […] une histoire d’amour ouvrant tous les possibles, une histoire de vies sauvées, mais aussi une histoire de haine. » Un livre qui parlera à toutes les utilisatrices de ces réseaux qui peuvent aussi bien nous renforcer, nous tirer vers le haut que nous anéantir totalement.
J’ai expérimenté de nombreuses techniques : j’ai sauté seins nus sur la voiture de DSK, fait irruption dans un bureau de vote en Turquie […], j’ai organisé des campagnes d’affichage sauvage, créé une communauté virtuelle de plus de 120 personnes sur Instagram »
Ce petit livre peut être vu comme un retour d’expériences de la part de son autrice. Que retenir après toutes ces années d’activisme ? Pour mieux comprendre ses choix et ses actions, elle nous transporte dans son passé, dans ses premières années de militantisme en tant que Femen. Je tiens à souligner que je suis mal à l’aise avec les actions des Femen, je ne suis pas en accord avec tous leurs combats et pourtant je ne peux pas m’empêcher d’avoir de l’admiration pour ces meufs qui vont littéralement au front. Elles n’hésitent pas, prennent des coups, risquent leur vie.
Elvire Duvelle-Charles expose ses premiers déclics féministes, ses prises de consciences et la possibilité d’enfin réussir à mettre des mots sur ce que l’on vit au quotidien, ces moments fulgurants où on se rend compte que certaines situations n’ont rien de normal, qu’elles ne sont pas acceptables. Le sexisme ne doit pas être une fatalité. Comme elle s’occupe beaucoup des réseaux sociaux dans le cadre de ses activités au sein des Femen, elle va apprendre et d’une certaine manière se spécialiser dans ce domaine.
Son propos est enrichi par les interviews de blogueuses et de créatrices de contenus comme Laura Nsafou, Anaïs Bourdet, … Leurs remarques, leurs propres expériences permettent de mieux comprendre et appréhender ce que furent auparavant et ce que sont aujourd’hui leurs relations avec leur travail de militantes sur Internet.
« Si le féminisme a longtemps souffert d’une mauvaise image auprès des jeunes générations […] le succès [des] comptes Instagram peut s’expliquer par le fait qu’ils rompent avec les modes de communication traditionnels du militantisme féministe et son habituel ton solennel. »
Les réseaux sociaux ont donné du pouvoir et une force de frappe inégalable aux mouvements féministes. L’autrice cite évidemment le #metoo mais elle souligne aussi l’importance des discussions autour du sujet des femmes victimes de violences conjugales, les impacts médiatiques et politiques d’actions commencées sur les réseaux sociaux (par exemple pour Jacqueline Sauvage). Ils ont par ailleurs permis aux féministes de déclencher des prises de conscience et la volonté de dire STOP. Le harcèlement de rue est si fréquent qu’il semble glisser sur les femmes, elles vivent et font avec. Les témoignages ont renforcé ce souhait de dire que non il n’y a rien de normal dans le fait de se faire insulter et alpaguer souvent violemment à l’extérieur.
Les réseaux sociaux créent des espaces où l’on peut écouter et être écoutée. La parole se libère car on ne se sent plus seule. Ce sont des lieux de sororité où des conseils sont dispensés. Elvire Duvelle-Charles réussit via des anecdotes personnelles et en laissant la parole à d’autres militantes à démontrer que le rôle des réseaux sociaux a été de permettre aux femmes d’oser parler car « la relation de confiance et la proximité qu’entretiennent les créatrices de comptes avec leurs communautés favorise également les confidences des membres de la communauté. » C’est rassurant et cela rend plus forte. C’est ainsi que des actions importantes peuvent être menées.
« Derrière leurs écrans, les harceleurs se croient tout permis. Ils se félicitent même de pouvoir continuer d’agir en toute impunité »
L’autrice le dit franchement et clairement. Les réseaux sociaux épuisent, découragent voire terrorisent. Ouvrir les vannes des témoignages a pour conséquence une montée de la violence de la part de harceleurs. Ces personnes ne sont pas simplement en désaccord avec vous, elle veulent vous voir disparaître. « La liste des violences en ligne est si longue qu’on peine à les recenser. Si certaines violences passent par des messages privés, on observe de plus en plus de dispositifs d’humiliation publique. » Cette violence engendre la peur et par conséquent une forme d’auto-censure. Pour se préserver, on se tait et on sait dans ce cas que les harceleurs ont gagné.
Les aspects négatifs des réseaux sociaux sont particulièrement pervers. Outre les dangers d’une forme d’addiction, car gérer un compte prend énormément de temps, il y a aussi le risque de perdre sa liberté en tant que militante. Elles deviennent des objets de communication et lorsqu’elles choisissent de faire des placements de produit, elles doivent effectuer des tris afin d’éviter d’être de simples instruments publicitaires. Les personnes qui les contactent les voient parfois comme des aubaines sans savoir véritablement en quoi consistent leurs activités et leurs projets.
La multiplication des contenus, même si elle permet de faire entendre plus de voix, a pour impact de réduire la portée de certaines d’entre elles. Le rôle des algorithmes n’est pas à prendre à la légère. De plus, Elvire Duvelle-Charles soulève le problème de la censure, du « shadow-ban », des comptes arbitrairement supprimés. Très peu d’informations sont connues sur le fonctionnement d’Instagram par exemple et de ses algorithmes qui changent régulièrement. D’où l’importance selon l’autrice de trouver d’autres moyens de s’exprimer, des plus classiques via des manifestations, des newsletters ou alors en créant des comptes sur d’autres plateformes comme Discord, Twitch ou Patreon.
« Les mots ont leur importance. Ils forment la matière à partir de laquelle nous pensons le monde et ils façonnent nos imaginaires. S’ils peuvent être blessants, ils peuvent également nous guérir. »
Féminisme et réseaux sociaux aide vraiment à comprendre l’importance de ces derniers dans les mouvements féministes les plus récents. Elvire Duvelle-Charles vous prend par la main et vous emporte dans les méandres de ces lieux virtuels qui font désormais partie de notre quotidien. Même si chaque militante a son propre parcours, ses propres actions à grande ou petite échelle et ses propres convictions, cet ouvrage traduit très bien ce que c’est de se déclarer féministe sur les réseaux sociaux. On y reçoit aussi bien du soutien que de la haine gratuite. Cela est pire encore quand celle-ci provient de personnes que vous pensiez être de votre côté car les adeptes de la pureté militante qui ne permettent aucun droit à la maladresse ou à la non-connaissance de certaines idées ou concepts sont des dangers pour le futur du féminisme.
« Quel est l’intérêt de militer si l’on ne croit pas que les gens sont capables d’évoluer ? »