Dans son sixième roman, l’écrivaine et scénariste Faïza Guène dresse le portrait de la famille Taleb qui vit dans une commune de Seine-Saint-Denis depuis les années 80. Les parents viennent d’Algérie, les enfants sont nés en France. Face au mépris, les deux générations résistent de manière différente. Un récit émouvant, dédié aux héritiers·ères des révoltes silencieuses.
Yamina Taleb, la mère, semble être sourde à la révolte qui l’appelle. Elle se fait toute petite face au mépris auquel elle fait face en France. Et pourtant, la puissance de cette mère de quatre enfants se dessine au tournant des chapitres qui alternent entre son parcours dans son pays natal et sa vie en banlieue parisienne. On découvre le portrait d’une femme qui a traversé la guerre d’indépendance et son exil en France avec courage.
Ses enfants, Malika, Hannah, Imane et Omar, ont hérité de cette colère réprimée. Les séquelles se sont transmises à la deuxième génération qui ne croit plus au mythe de la méritocratie. Hannah s’enrage et s’embrase. Pour elle, « la faiblesse, c’est fini » et il n’est pas question de rester silencieuse face à la condescendance ou au racisme. « Je suis pas là pour les rassurer, s’ils sont trop cons pour ne pas se rendre compte qu’on est des êtres humains, c’est pas de ma faute », s’exclame-t-elle auprès de sa mère. Cette dernière veut cependant éviter tout scandale : « C’est comme ça benti, on doit accepter, on est comme leurs invités, on est chez eux. »
Chacun·e des enfants vit ce tiraillement entre deux cultures à sa façon, chacun·e souffre de ce sentiment de ne pas appartenir, d’être dans un entre-deux permanent. Quand Imane fait part de sa décision de vivre seule, sa mère répond : « Tu veux tuer ton père ? ». Entre la volonté de respecter les traditions de ses parents et son élan d’indépendance, il y a la culpabilité.
« Décevoir des parents pareils, c’est terrible, c’est pire que tout. Ils ont fait tellement de sacrifices. Des sacrifices écrasants. Malgré eux, ils ont fait de leurs enfants des gamins accablés », écrit Faïza Guène. Se construire autour d’une identité morcelée est souvent mal vécue.
L’écrivaine démontre subtilement que le vécu intime de ses personnages est profondément politique. Derrière chaque immigré·e, il y a une histoire et l’Histoire avec un grand H. L’écriture, simple est directe, dénote simultanément la douceur et la colère qui colorent la vie de la famille Taleb.
Avant tout, « La Discrétion » (Plon, 2020) est un hommage aux mères. Les mères qui ont eu la vie dure, celles qui marchent le dos courbé et la tête baissée, celles qui subissent sans se mettre en colère, celles qui ont peur de déranger, celles qui ne se plaignent jamais, celles qui sacrifient sans compter, celles qui sont déracinées, celles pour qui la discrétion est une question de survie. Dans la veine de « La puissance des mères » (La Découverte, 2020) de l’autrice Fatima Ouassak qui repense la figure maternelle comme un sujet politique à construire, ce roman revalorise le rôle des mères et invite à explorer de nouveaux champs de réflexions.
Journaliste suisse basée à Berlin, Özgül traite l’actualité internationale au quotidien pour une agence de presse, et a auparavant travaillé pour la télévision et la presse écrite. Elle se passionne en parallèle pour des sujets culturels et féministes, et sa bibliothèque s’agrandit progressivement pour accueillir plus d’ouvrages allant dans ce sens.