Adam Stower sème le trouble dans le genre avec son roman illustré Prince Koo, publié chez Albin Michel en 2018. Ce roman à lire dès 7 ans narre les péripéties haletantes d’un garçon souffre-douleur et d’un.e héro.ïne à l’identité sexuelle affranchie.
L’envers de la morne réalité
Ben Covert est un jeune écolier, jamais pressé de prendre le chemin de l’école et de son lot d’humiliations ; dans la cour, il a adopté la stratégie, pas toujours efficace, du profil bas : quatre brutes sans coeur ni cervelle ne perdent pas une occasion, à la récré, de lui barrer la route pour lui faire les poches et lui mettre une raclée.
A l’occasion d’une énième course poursuite avec ces terreurs ignorantes à ses trousses, il fait la découverte d’un tunnel qui le conduit vers une forêt dissimulée au milieu de la ville ! Oasis luxuriante où la végétation s’épanouit sans limite, clairière refuge où prospèrent les herbes moussues et les fraîches fougères, val d’amour où le gazouillis des oiseaux chatouillent ses oreilles, la forêt semble inhabitée, inconnue à l’humanité, qui vit tout près dans les gaz d’échappement, et agitée quotidiennement par les violences de tout genre qui l’assaillent. Et pourtant ! Ben va vite faire la rencontre de Prince Koo, un.e enfant de son âge, coiffé.e d’une couronne dorée, sans vêtements, et dont la nudité édénique est judicieusement cachée par une barbe abondante et impénétrable à l’image des feuillages qui camouflent le réseau de cabanes suspendues, de ponts de singe, de toboggans, d’échelles de corde et de tyroliennes qu’on rêverait de tester si on pouvait se projeter dans ces pages merveilleuses.
Les illustrations avec leurs coups de crayon juvéniles semblent sortir du journal de bord d’un aventurier en herbe : les schémas sont scrupuleusement fléchés, redondants avec le texte et ainsi terriblement savoureux de naïveté.
Prince Koo : le prince qui voulait aussi être princesse ?
Comme tout personnage de roman picaresque, Prince Koo aime entretenir le mystère de ses origines : une fille attachée à un feu de bengale quand elle était bébé et mise à feu par un oncle diabolique avide d’héritage ? ou fille unique des deux plus célèbres chercheurs de rubis au monde ensevelis dans une mine lors de leur dernière expédition ? ou encore jeune boulet de canon humain propulsé hors du chapiteau d’un cirque et retombé dans une forêt secrète ? Abracadabresque. A l’image du récit et de ses affabulations, Prince Koo cherche d’abord à sidérer son auditoire et à se jouer des discours sérieux, des cases qui expliquent et qui enferment, pour faire de la confusion un mode de vie. On jubile de ces échanges qui pastichent les traditionnelles scènes de présentation :
– Je m’appelle Ben Covert… commença Ben. Mais attends une minute ! ajouta-t-il en clignant des yeux. Tu as une barbe ! Je n’avais jamais vu un garçon avec une BARBE !
– Comment OSES-tu ? répliqua Prince Koo indigné. Je suis une fille avec une BARBE !
Donc Prince Koo se revendique fille mais Anne Léonard, la traductrice, a choisi de traduire « indigné » au masculin et non « indignée », soulignant l’ambiguïté de cette annonce qu’on peut légitimement interpréter comme une déclaration sérieuse mais aussi comme une façon de déstabiliser l’autre et de prendre le pouvoir en le stupéfiant. Il s’agit de paralyser, de priver l’interlocuteur d’une réaction conventionnelle sur le mode de la surprise comme lorsqu’on échafaude un plan compliqué pour une embuscade. Comment ne pas penser au collectif féministe La Barbe à leurs actions qui dénoncent les phénomènes de reproduction du pouvoir masculin dans les sphères du pouvoir ? Comme le poil au menton de Koo nous questionne, elles nous avertissent sur leur page web et ne laissent pas place au doute quant à leur détermination :
Partout où les hommes se croient en terrain conquis,
des femmes à barbe surgiront,
arborant les attributs du pouvoir,
jouant le jeu de la masculinité.
Le roman s’aborde ainsi de différentes façons : on peut lire un roman d’aventure truculent à hauteur d’enfant, mais aussi un guet-apens tendu au monde adulte et à ses réflexes sociaux. Et face à Ben qui tente de sortir de sa perplexité avec un raisonnement digne des années 2000 et indique à Koo qu’il faudrait faire coïncider sa féminité avec le mot « princesse », Prince Koo n’hésite pas à lui retourner une logique bien à iel :
– Mais alors, est-ce qu’on ne devrait pas t’appeler plutôt t’appeler PRINCESSE Koo ?
– Ne sois pas ridicule, rétorqua Koo. Tu as déjà vu une princesse barbue ?
Vous l’aurez compris, l’entrée du pronom iel dans le dictionnaire Le Robert en novembre 2021 est une innovation linguistique taillée sur mesure pour notre héro.ïne aux répliques cinglantes. Et lorsque vous pensez comprendre de quoi il retourne, quand vous croyez, comme Monty Grabbe le vilain, cerner le personnage de Prince Koo et pouvoir l’acculer à une case genrée :
– Ouais, toi ! dit-il. Je ne sais pas QUI tu es ou ce QUE tu es, mais je sais UNE chose, c’est que tu es à court de tes cochonneries de munitions.
… Vous êtes vite fessé.e et expulsé.e vers la « chasse d’eau » et renvoyé.e dans votre monde pollué et étriqué. C’est ainsi qu’on se débarrasse des méchants. Sans oublier la colle et les poils de wombat en place de goudron et de plumes !
Elle rêvait de tenir un ranch dans le Wyoming, mais sa phobie de l’avion l’a poussée à embrasser la carrière d’enseignante à Montreuil pour partager sa passion des grands espaces littéraires.