Camilla Vivian est une photographe, traductrice/interprète italienne et maman de trois enfants qu’elle élève quasiment seule depuis son divorce. Parmi ses enfants, il y a Federico qui manifeste depuis son plus jeune âge le désir de ne pas être juste un garçon, de pouvoir aussi être une fille. Décidée à accompagner son enfant le mieux possible dans son développement, Camilla Vivian va alors chercher des ressources, des témoignages, des conseils… C’est ce parcours qu’elle raconte dans ce livre, qui prolonge l’ouverture, en 2016, de son blog « Mio Figlio in rosa[1] ».
Découvrir le cheminement de cette maman livrée à elle-même dans un pays fortement imprégné par la culture catholique de la honte et du tabou est aussi touchant que révoltant. Lorsqu’elle commence ses recherches, Camilla Vivian a l’impression d’être la seule mère en Italie à vivre cette situation. C’est par internet et des échanges avec des mères étrangères, notamment américaines, qu’elle trouvera ses premières réponses. Elle commencera alors à se renseigner sur la dysphorie de genre[2] et plus généralement sur la fluidité des identités de genre.
Alors qu’elle se trouve dans un processus d’acceptation, de tolérance et d’accompagnement, le monde qui l’entoure ne lui renvoie qu’incompréhension, jugement et mépris. Ce qui ressort du témoignage de l’autrice, c’est l’angoisse permanente et l’anticipation des réactions des personnes qu’elle côtoie : que dira le boucher si Federico sort faire les courses avec ses plus belles ballerines pailletées ? Que diront ses camarades de classe s’il ne choisit que des cahiers roses ? Que dira le contrôleur du train en voyant les papiers d’identité de son fils ? Si Camilla Vivian tente de cacher ses angoisses à son fils, celui-ci n’est évidemment pas dupe. Alors que Federico choisit de vivre selon ses envies, sans trop se poser de questions, ce sont « les autres » qui se questionnent et qui lui font douter de sa légitimité à être lui-même.
L’autrice met par ailleurs en avant l’absolu nécessité de catégoriser les choses et les êtres, même lorsqu’il s’agit de transidentité. Par exemple, lorsqu’elle cherche à adhérer à une association, elle n’a que deux cases disponibles pour « définir » son fils sur un formulaire : FTM (female to male, « fille qui se sent garçon ») ou MTF (male to female, « garçon qui se sent fille »). Or, Federico n’est pas vraiment un « garçon qui se sent fille ». Il est un garçon, il est aussi une fille. C’est un enfant qui ne se « définit » pas, mais dont la mère est poussée à le faire pour lui, sur un bout de papier qui finira aux archives.
Enfin, notons que lorsqu’elle parle des personnes qui l’ont aidée, ou bien des courriers qu’elle a reçus suite à l’ouverture de son blog, Camilla Vivian ne mentionne que des mères. Inquiètes, parfois désespérées, souvent déterminées, à l’écoute, attentives.
À travers ce témoignage, nous découvrons en effet des figures de mères prêtes à tout pour assurer à leurs enfants une vie épanouie.
Mais où sont les pères ?
Où sont les pères dans les cabinets des psychologues ? Dans les témoignages des blogs ou des articles de presse ? Sur les plateaux télé ? Dans les associations ?
Cette question n’est pas du tout soulevée par l’autrice, mais son récit est un exemple de plus de la place majoritaire des femmes dans le domaine du care. Cette prise en compte des besoins spécifiques des un·es et des autres se traduit ici par une vigilance de tous les instants, par des nuits passées à faire des recherches, à s’informer, à lire, par des discussions sans fin avec les instituteur·trices, la famille, les ami·es, et parfois même par une attention moindre à ses deux autres enfants. Et paradoxalement, alors que ce sont les mères qui prennent en charge tout ce qui vient d’être cité, ce sont aussi elles qui sont tenues pour responsables, par la société normée, des « déviances » de leurs enfants : « Une croyance ancienne, en effet, fait des mères les premières responsables et les premières à critiquer pour les actions, les comportements et la santé mentale de leurs enfants, surtout des enfants transgenres. »
Ces 250 pages font état de réflexions passionnantes qui dépassent le simple récit intime et portent une résonnance politique indéniable.
[Mention spéciale pour l’avant-propos et le glossaire des traductrices qui insistent sur l’importance de la représentation par les mots. L’autrice utilise en effet parfois des termes qui ne sont pas adaptés à la situation (« transsexuel » pour « transgenre » par exemple), mais les traductrices ont choisi de ne pas corriger ces occurrences afin de rendre compte du cheminement de la pensée de l’autrice.]
Mon fils en rose, Camilla Vivian, traduit par Hazel Goram et Nino S. Dufour, La Contre Allée, 2019
[1] http://www.miofiglioinrosa.com/
[2] Terme médical qui désigne le sentiment d’inadéquation entre le genre assigné et le genre vécu ou exprimé.
Viscéralement littéraire, éditrice de formation, libraire de profession, Manon passe une grande partie de son temps entourée de livres. Mona Chollet a changé sa vie, même si elle ne le sait pas. À ses côtés, Virginie Despentes, Simone de Beauvoir, Manon Garcia et tant d’autres forment le bouclier qui l’aide, pas à pas, à faire reculer le patriarcat.