Il était une fois pour le titre de cette chronique car comme le dit très justement Delphine Coulin dans l’introduction de cette fresque féministe de plus de 500 pages : « La vie des femmes nécessite encore plus la fiction que la vie des hommes, puisqu’on a gardé d’elles peu de récits ou de preuves d’existence. C’est comme si la moitié des pages d’un livre d’histoire avaient été effacées. » L’autrice nous emporte donc dans les flots tumultueux de la fiction, de l’imaginaire et d’une histoire du féminisme à travers quatre destins de femmes, toutes fortes et puissantes, toutes décidées à prendre en main le fil de leur vie, toutes différentes dans leur manière de s’y prendre en fonction des époques traversées.
« Je raconterai tout un siècle du point de vue des femmes – ces invisibles qui ont eu du pouvoir, même si elles n’avaient pas le pouvoir. »
George est née à la toute fin du XIXe siècle. « Elle aimait les chats, les hommes, la justice. » Elle se passionne pour Louise Michel et Calamity Jane. Sa grand-mère, Zélie, au corps « imposant comme un tonneau » est une femme qui sans prêcher la libération de la femme est une forte personnalité, un caractère bien trempé, un pilier de la famille. Une source d’inspiration pour George qui apprend auprès d’elle le métier de couturière. Un moyen de s’émanciper et de trouver sa voie. C’est une femme passionnée, elle s’éprend d’un homme marié, son grand amour. Un fils naît, le temps passe et c’est le moment de rencontrer la belle-fille, Lucie. Elle a « un aplomb rare […], un sacré bagout ». Une femme de tête et engagée. Alors que le droit de vote pour les femmes n’est pas encore acquis, elle milite et combat l’ennemi pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est une résistante. Le danger ne l’effraie pas car le combat est nécessaire. Avec le fils de George, elle a une fille, Solange. Elle rayonne et brille de mille feux, Solange « s’intéresse […] aux histoires de corps et de cœur ». Elle est en quête de liberté, celle de la sexualité, celle des chairs qui se mêlent sans honte. Enfin, nous découvrons Octavie, notre contemporaine, une étudiante en arts plastiques. Elle a décidé de mener l’enquête sur ses aïeules. Il y a trop de mystères, de secrets et de non-dits dans cette famille singulière.
« Sans les mauvaises filles, les époques n’avancent pas. Ce sont les pionnières, nécessaires à la marche du monde ».
Cette galerie de portraits qui couvre plusieurs générations relate donc la vie mouvementée de ces femmes. Elles sont les témoins d’une France bouleversée par les guerres, les mouvements sociaux, la transformation de la société. Le réel et la fiction s’entremêlent. George, Lucie et Solange ont semé quelques mensonges sur leur passage. « Les femmes de cette famille ont eu des destins à la fois quotidiens et épiques. Elles se sont identifiées non pas à des mères parfaites et honnêtes, comme c’était le plus souvent à l’époque, mais à des aventurières qui mentaient comme des arracheuses de dents. » Cacher la vérité pour éviter le mépris, pour s’assurer des protections, pour s’affranchir du poids du patriarcat. Delphine Coulin fait du mensonge un mal nécessaire dans certaines circonstances. C’est ce qui sauve ses héroïnes, ce qui les sublime. Elles en sortent étrangement grandies. Dans une vidéo de présentation de son ouvrage, l’autrice parle d’un « éloge de la fiction, une célébration de l’imaginaire. » Loin, à l’ouest se lit comme un roman feuilleton, où le romanesque l’emporte et où les sentiments des personnages sont exaltés, avec en toile de fond l’histoire pesante d’un pays qui freine des quatre fers lorsqu’il s’agit de bouger les lignes.
Un roman où on sent que l’autrice souhaite rendre hommage aux pouvoirs de l’imagination et de la création, à la beauté de la fiction. L’écriture est très fluide mais je suis tout de même restée sur ma faim car j’ai trouvé qu’elle manquait un peu de puissance, d’un peu de souffle et était parfois un peu trop fade, pas assez travaillée à mon goût. Un je-ne-sais-quoi de frustrant. Néanmoins, Loin, à l’ouest est un nid douillet dans lequel se blottir, on s’attache à ces femmes, on a nos préférées, celles qui nous ressemblent, celles qui nous forcent à nous interroger sur nos choix et sur ce qu’il reste à conquérir.
Loin, à l’ouest « c’est ériger la fiction en reine, parce qu’elle permet à chacun de faire le récit de sa vie ».