(© Glénat/Lisa Miquet)
Avec Radium Girls, la dessinatrice Cy met en lumière l’histoire vraie d’un groupe de femmes qui peignent des cadrans de montre au radium, dans une usine aux États-Unis en 1918. Pour ce faire, elles répètent au quotidien la technique du « lip, dip, paint », et portent le pinceau à leur bouche afin de rendre le trait le plus fin possible. Ce geste à l’apparence anodine va pourtant, petit à petit, les rendre malades et les mener à leur mort. En retraçant le combat galvanisant de ces travailleuses, Cy met en avant une formidable histoire de sororité et rend hommage à ces femmes, hélas, oubliées.
Le radium : l’élément miracle qui tue à petit feu
Edna, Grace, Katherine, Mollie, Albina, Quinta. Elles travaillent toutes pour la United States Radium Corporation, et appliquent minutieusement la technique du « lip, dip, paint » qui leur a été enseignée. Ce qu’elles ignorent c’est que le radium, cette matière qu’elles manipulent au quotidien et à un rythme constant, est en réalité mortelle.
Extrait de Radium Girls de Cy, éditions Glénat (2020)
Le radium est un élément chimique extrêmement radioactif qui a été découvert par Marie Curie et son mari, Pierre. Cette matière à la propriété phosphorescente fit une entrée fracassante aux États-Unis. Pourtant, depuis sa découverte, on savait qu’elle causait des dommages. C’est pourquoi les travailleurs de compagnie de radium qui manipulaient cette matière portaient des tabliers de plomb et utilisaient des pinces en pointe d’ivoire. Une protection dont les travailleuses qui peignaient les cadrans de montre phosphorescents n’ont pas bénéficié. Face aux interrogations et inquiétudes des employées, leur supérieur leur disait non seulement que le radium à petites doses était totalement inoffensif, mais même que c’était bon pour la santé !
Il était alors possible de trouver de nombreux produits commerciaux, allant de cosmétiques à du dentifrice, ou même du beurre et du lait, contenant du radium. Certaines, comme le montre Cy, portaient même leur plus belle robe à l’usine pour qu’elle brille dans le noir quand elles sortaient danser, ou alors peignaient leurs dents afin d’obtenir un sourire éblouissant, leur gagnant le surnom de « Ghost Girls ».
Maladie, mort, mais surtout sororité avant tout !
Bien qu’un compte à rebours funeste guette ces femmes, nous sommes immergés dans la joie volatile des années folles et très vite, on s’attache à ce groupe d’amies. La qualité du trait et la beauté de la palette de couleurs nous plongent dans la vie de ces femmes pétillantes qui s’entraident et se soutiennent du début à la fin. Les jeux d’ombres et les formes donnent vie au radium dont la fluorescence d’abord jouissive et ludique devient menaçante et horrifiante (et petite surprise, la couverture luit dans le noir !).
Extrait de Radium Girls de Cy, éditions Glénat (2020)
En 1922, Mollie souffre d’un mal de dents. Quelques mois plus tard, elle meurt à seulement 24 ans. Son certificat de décès indique qu’elle est morte de syphilis – un diagnostic évidemment erroné. Progressivement, ses collègues vont suivre son destin tragique. En 1925, le médecin Harrison Martland conduit des tests qui prouvent que c’est bien le radium qui a empoisonné ces femmes, à la suite de quoi un combat légal difficile va s’ensuivre.
Si cette histoire lourde qui parle de maladie, mort, mensonges aurait pu être une lecture difficile, le parti pris de Cy de la raconter du point de vue de l’amitié et de la solidarité qui lient ces travailleuses en fait une BD émouvante et attachante.
Un destin tragique méconnu qui a sauvé la vie de milliers de travailleurs·euses
La lutte de ces femmes a eu un impact vital sur les lois sur la protection des travailleurs·ses aux États-Unis. C’était un des premiers cas dans lequel un employeur a été rendu responsable de la santé de ses employés. Leur combat a mené à la création du Occupational Safety and Health Administration (OSHA), l’agence gouvernementale qui émet des règlements pour la sécurité et la santé au travail. D’après les statistiques, avant la création de l’OSHA, 14 000 travailleurs·euses perdaient leur vie sur leur lieu de travail, contre quelque 4 500 aujourd’hui.
Le mérite de Cy n’est pas seulement de raconter l’histoire de ces femmes formidables dont le combat amènera une évolution législative, mais surtout de visibiliser une histoire largement méconnue. Car si l’on doit beaucoup à leur force et courage, ces travailleuses ont malheureusement rejoint le rang des femmes oubliées qui ne figurent pas dans les ouvrages d’histoire. Cy leur rend un bel hommage dans cette BD qui se lit d’une seule traite.
Extrait de Radium Girls de Cy, éditions Glénat (2020)
Journaliste suisse basée à Berlin, Özgül traite l’actualité internationale au quotidien pour une agence de presse, et a auparavant travaillé pour la télévision et la presse écrite. Elle se passionne en parallèle pour des sujets culturels et féministes, et sa bibliothèque s’agrandit progressivement pour accueillir plus d’ouvrages allant dans ce sens.