C’est l’autrice suédoise la plus lue dans le monde… sans qu’on n’en sache rien. Souvenez-vous de Fifi Brindacier, c’est elle ! Elle a frôlé à plusieurs reprises le Nobel de Littérature, mais non finalement, il n’y avait plus de place. S’il faut attendre le XXIe siècle pour redécouvrir l’œuvre d’Astrid Lindgren, la faute en incombe à de mauvaises traductions françaises qui lissaient l’aspect explosif du texte. Pour notre plus grand bonheur, de nouvelles traductions font revivre l’esprit facétieux de l’autrice.
Féministe, écolo et pacifiste, n’en jetez plus ! Dans les années 20, la Suédoise fait figure de pionnière : dans sa ville de province, elle s’entiche de jazz, se coupe les cheveux et porte pantalon, veste et cravate sans se soucier des autres avant de rejoindre à 19 ans Stockholm afin de cacher une grossesse malvenue. Elle entre tôt dans la vie professionnelle persuadée que l’indépendance de la femme passe par le travail. Provocatrice à ses heures, elle confie à la littérature jeunesse une nouvelle mission sacrée : écrire pour les enfants, pour les aider à affirmer leur liberté, leur droit au bonheur, et à la différence. En Suède, Astrid Lindgren a fait l’objet d’un véritable culte, comme en témoignent les 75 000 lettres qu’elle a reçues jusqu’à sa mort en 2002.
Les modèles littéraires qu’elle crée naissent sous sa plume de façon accidentelle, puisqu’elle se met à l’écriture pour divertir sa petite fille tombée malade et contrainte de garder la chambre : pour elle, elle inventera le personnage de Pipi Langstrump, Fifi Brindacier en français, une petite aventurière au tempérament indépendant. Le livre qui en 1945 réunit les aventures de la jeune badass suédoise a divisé le public tant il proposait des rapports inédits entre filles et garçons ou entre adultes et enfants, mais aussi un vocabulaire et une langue libérés des ses formes poussiéreuses. Taxé de présenter un mauvais exemple aux enfants, le livre fut mis au ban par une partie de la presse de l’époque. La vague de succès que rencontre Fifi Brindacier fait de ce personnage la première icône féministe de la littérature jeunesse. Incontrôlable, toute entière dévouée à l’imaginaire qui l’habite, Fifi ne fléchit jamais sous la menace des punitions, ni des réprimandes. Elle incarne à elle seule l’essence de la puissance individuelle.
À contre courant de la littérature enfantine de l’époque et des conventions sociales qui exigeaient de l’enfant une attitude exemplaire et leur imposaient une éducation asphyxiante, Astrid Lindgren révolutionne le monde de l’enfance. Dans ses livres, au mieux les adultes tiennent des rôles secondaires, spectateurs amusés des espiègleries tordantes de petits êtres zozotants et raisonnants ; au pire, ils sont chahutés, moqués et leur vie ennuyeuse et bien ordonnée vole en éclats face aux réparties cinglantes des héroïnes subversives.
On recommandera particulièrement dès 6 ans la lecture de Lotta la Filoute qui raconte les aventures d’une petite fille de 4 ans, turbulente pour notre plus grand plaisir, retournant toujours les injonctions des adultes à son avantage, enchaînant bons mots et grossièretés fondantes « botte de bique ! » comme elle se plaît à répéter. Affublée de Nounours, le cochon en peluche dont elle ne se sépare jamais, elle mène la vie dure à ses frères et sœurs ainsi qu’à ses parents qui ont renoncé depuis longtemps à tenter de la faire rentrer dans le rang. Lotta parle fort, fait ce qu’elle veut, va où elle veut, c’est aux autres de s’adapter, pas à elle. Et toc ! Rebelle, le monde de l’enfance l’est à 100 % , à l’image de Lotta la filoute dans cet extrait où sa mère insiste pour lui faire porter un chandail blanc :
- Non, il grattouille et il chatouille, répondit Lotta sans même le toucher. Je veux ma robe de veau lourd. (…]
- Tu pourras la mettre dimanche. Aujourd’hui, ce sera ce chandail.
- Je préfère encore rester toute nue, dit Lotta.
De rage, Lotta finira par mettre le chandail en pièces dans une poubelle et accusera un chien imaginaire !
Savourez les dialogues d’enfants : les plans sur la comète, les questions incongrues et les interventions gênantes en public. Savourez aussi les sublimes illustrations pleine page de Béatrice Alemagna qui rendent bien hommage à la cocasserie du texte. On attend le reste des traductions avec impatience !
Elle rêvait de tenir un ranch dans le Wyoming, mais sa phobie de l’avion l’a poussée à embrasser la carrière d’enseignante à Montreuil pour partager sa passion des grands espaces littéraires.