« Une enquête drôle et décalée qui déconstruit les légendes sur la grossesse à l’heure de la génération Y. »
Les femmes enceintes n’échappent pas aux injonctions contradictoires et aux diktats. « Un petit verre de vin pendant la grossesse n’a jamais fait de mal à personne », « Non mais ça ne va pas, il ne faut pas boire une goutte d’alcool pendant la grossesse ». « Il faut être épanouie mais ne pas trop prendre de poids. »
René Greusard, journaliste pour différentes rédactions (Les Inrocks, Libé, Causette, France Inter, Rue 89) nous raconte sa grossesse à un peu plus de 30 ans. Elle répond à beaucoup de questions taboues, grâce notamment à des entretiens avec des praticien·nes·s, des chercheurs·euses et beaucoup de femmes. Elle narre aussi ses échanges avec sa gynécologue, qui l’informe et la rassure. C’est un récit très agréable à lire où s’entremêlent enquête journalistique, récit personnel et interviews de spécialistes.
Comment rester maîtresse de son corps durant cette période de grands bouleversements ? Comment s’accomplir en tant que féministe et en tant que mère ? Des questions auxquelles elle tente de nous apporter des réponses. En détournant les déterminismes genrés et en faisant fi des injonctions patriarcales.
Bien avant une possible grossesse, les femmes subissent une énorme pression sociale entre 25 et 35 ans au sujet de la maternité. Il y a un phénomène de « contagion sociale » et de pression injustifiée et démesurée sur les nullipares. L’autrice a quant à elle un fort désir d’être mère et nous raconte sans détour son parcours pour y arriver, de la fausse-couche à la réussite, en passant par l’attente, les déceptions et l’abattement, « Depuis que je veux tomber enceinte, je hais le temps ». Elle décrit toutes ses inquiétudes, elle qui se voit comme un bébé, qui veut faire un bébé. Comme beaucoup de femmes, elle ne se sent pas capable, pas apte et pense ne jamais y arriver. Elle traîne sur les forums, pour trouver des réponses à ses questions et nous propose même dans l’ouvrage un lexique du jargon présent sur ces derniers où orthographe et grammaire approximatives côtoient un vocabulaire bien spécialisé composé de sigles et d’acronymes (brybry, Dudu, PDS, SA…). « J’ai beau m’en moquer, plus je les lis, plus ces forums m’émeuvent. Avec leurs anecdotes modestes, ces femmes se tiennent la main, s’offrent du réconfort. »
Des points d’histoire éclairants sur les pratiques actuelles en matière de gynécologie et d’obstétrique
L’autrice a fait un travail de documentation intéressant qui nous permet de comprendre l’évolution des pratiques dans le domaine de l’obstétrique, de fausses croyances en avancées révolutionnaires.
Du 15e au 19e siècles, les femmes dissimulent (tant bien que mal) leur grossesse, signe honteux d’un rapport sexuel consommé. La représentation de la grossesse et de la maternité a beaucoup évolué au fil des siècles et les femmes n’ont parfois été vues et traitées que selon leurs fonctions reproductrices. Il faudra attendre les années 1960-70 pour que cela devienne un événement heureux et glorifié, que l’on montre. C’est aussi le moment d’un féminisme différencialiste, essentialiste, tout à fait critiquable. Simone de Beauvoir ne s’en est d’ailleurs pas privé dans Le Deuxième Sexe, dès 1949.
En ce qui concerne l’échographie fœtale, elle est assez récente : le véritable essor se situe entre 1980-83. Avant cette période, il n’y en avait pas. Les médecins recommandent maintenant trois échographies pour une grossesse sans complications.
L’accouchement a également beaucoup évolué suivant les périodes. Avant le 17e siècle, les matrones, des femmes plus âgées qui avaient eu beaucoup d’enfants s’occupaient d’aider les parturientes. Puis cela devient un métier et vint le temps et le plébiscite des chirurgiens accoucheurs, quasiment que des hommes. Encore aujourd’hui, l’obstétrique est une discipline assez masculine.
Naît la distinction récemment entre accouchement naturel, auquel certaines souhaitent revenir, versus accouchement médicalisé. Il y a des explications à cette médicalisation : « Comment concilier une telle technicité et un moment aussi profond et mystérieux que celui de la grossesse ? Difficilement. En voulant réduire la mortalité des mères et des nouveaux-nés, les États ont finalement construit un environnement chiffré peu humain : les médecins sont, malgré eux, devenus de grands techniciens, de bons garagistes, et les femmes enceintes des voitures à problèmes. »
Des infos pratiques et une déculpabilisation à l’œuvre
L’autrice dissémine dans ce texte incarné des petits points sur les fausses croyances et les vraies connaissances, notamment à propos des maladies dangereuses. Elle parle aussi de sexualité, des choses que l’on n’ose pas forcément aborder avec ses amies ou avec les femmes de sa famille. Certains couples connaissent une baisse, d’autres une augmentation du désir.
Renée Greusard s’adresse à la génération Y et parle de sujets dont personne ne parle, et surtout pas les livres de Laurence Pernoud des années 1980. Un livre qui vise à déculpabiliser sans adopter non plus de comportements inconscients. Elle tente aussi de faire mentir les mauvaises fées : « C’est fini la fête pour vous », professe t-on, elle qui aime la fête et la nuit et qui en parle avec beaucoup de poésie. Elle évoque l’expérience amusante que toute femme enceinte – ou presque – a connue, celle de la sobriété au milieu de l’ivresse.
Sur l’alcool, l’autrice ne trouve aucun livre ou aucune étude française qui ne recommande pas l’abstinence totale. Mais pour elle, il y a en fait débat. D’autres études, non francophones, tendent à prouver qu’une consommation très réduite ne serait pas dommageable. Les recommandations ne sont d’ailleurs pas les mêmes selon les pays. Elle a également choisi de s’affranchir de certaines restrictions alimentaires, les risques étant très minimes.
La femme enceinte, pour beaucoup, devrait être ennuyeuse et totalement dédiée à son état, bien différente de ce qu’elle fut jadis. « Je suis du reste très étonnée qu’on présage de ce que je vais devenir maintenant que j’attends un bébé : une autre. Mon identité semble se diluer dans mon ventre. » On ne l’appelle parfois plus par son prénom mais en la nommant « maman ».
Les injonctions du patriarcat à combattre
Toutes les femmes enceintes sont confrontées à un moment ou un autre à l’injonction à ne pas prendre trop de poids. Il faut juste un petit ballon, ne pas grossir ailleurs, ne pas avoir de vergetures. Dans Beauté fatale, Mona Chollet évoquait déjà les femmes – et les stars – confrontées à l’obligation de combiner l’idéal de la minceur et d’une maternité épanouie : « Elle ont intérêt à remplir le contrat, mais surtout, qu’elles ne nous obligent pas à savoir comment. […] Il s’agit en effet d’accéder à la condition sacrée de mère tout en montrant que l’on garde un contrôle absolu sur son corps. » Un torrent de boue s’est par exemple déversé sur Kim Kardashian dans les médias et sur les réseaux sociaux parce qu’elle avait pris 22 kilos durant sa grossesse. Une femme enceinte doit rester fine, dans une certaine mesure, et sexy. Un comble quand on connaît tous les bouleversements que le corps rencontre durant cette période.
Enceinte, tout est possible est un livre agréable à lire, réconfortant lorsque l’on vit cette période complexe. On suit les 9 mois de grossesse de notre journaliste, qui n’est pas avare en récits amusants et en anecdotes déculpabilisantes. En effet, la grossesse n’est ni une maladie, ni un handicap, donc autant essayer de la vivre de la manière la plus heureuse et épanouie possible, sans pour autant bafouer ses convictions ou passer outre les potentiels dangers.
Éveillée au féminisme – entre autres – par Simone de Beauvoir, énervée par les inégalités et le sexisme insidieux, apaisée par les livres et motivée par la réflexion, elle a créé ce site. Car lire, c’est bien mais partager ses lectures, c’est encore mieux.