Quel est le point commun entre :
- Les béguines au Moyen Âge qui s’affranchissent de toute autorité masculine.
- Les black mambas qui luttent contre le braconnage en Afrique du Sud.
- Le mouvement de la ceinture verte qui lutte contre la déforestation au Kenya.
- Okuni et sa troupe de théâtre féminine au Japon au XVIe siècle.
- Les femmes de la Rosenstraße contre la Gestapo.
- Le gang des Forty Elephants, des femmes voleuses dans le Londres du XVIII et début XIXe siècle.
- Les troubadouresses au Moyen Âge et comment elles ont contribué au mouvement littéraire.
- Etc.
Ève Menu nous offre un ouvrage complet qui met en lumière des femmes du monde entier, de tous les milieux sociaux et à des époques différentes, qui ont construit et façonné notre histoire. Elles ont été invisibilisées ou sont restées anonymes mais sans elles le monde n’aurait pas le même visage. Je vous invite à re-découvrir l’histoire à travers le portrait de ces bandes de femmes qui ont décidé de vivre de manière libre, que cela plaise ou non.
Un ouvrage qui fait du bien, qui rétablit les choses dans un contexte de découverte cruciale sur la place des femmes dans l’histoire et le rôle qu’elles y ont joué. Un livre à mettre dans les mains de tout le monde !
J’ai découvert le travail d’Ève Menu lors de l’ouverture de son site histoireparlesfemmes.com. Les portraits de femmes qu’elle y tissent sont passionnants et inspirants. J’attendais avec impatience de lire son livre. Voici chose faite et j’avais envie que le livre ne se termine pas. J’ai été happée par ces histoires qui ressemblent à des aventures mais qui ont été ou sont bien réelles. J’ai contacté Ève qui s’est tout de suite montrée disponible et a accepté de répondre à quelques-unes de mes questions.
Selon moi, ce livre est un acte militant comme l’est votre site Internet. Avez-vous toujours été militante ? Vous considérez-vous comme telle ?
Ève Menu : Je me considère tout à fait militante, effectivement. J’exprime mon militantisme plutôt par des actions et engagements de ma vie personnelle que sur mon site, car la démarche historique demande de tendre au maximum vers la neutralité. Mais la démarche du site en elle-même, remettre en lumière des femmes oubliées de l’histoire, est bien militante.
Aussi loin que je me souvienne, du fait d’une éducation plutôt non-genrée et politisée, j’ai toujours penché vers le féminisme sans forcément mettre de mots ou des concepts dessus. Mon militantisme s’est construit en grandissant, au fil des rencontres, des lectures, des études…
Comment est née votre conscience de l’invisibilité des femmes dans les diverses strates de la société et dans le domaine de l’histoire ?
EM : Je me souviens avoir découvert la révolutionnaire humaniste et féministe Olympe de Gouges, et de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, lors de mes études d’histoire à l’université. J’étais absolument sidérée de ne jamais en avoir entendu parler auparavant ; c’est là que j’ai commencé véritablement à réaliser l’invisibilisation des femmes dans l’histoire. Parce qu’au-delà d’Olympe de Gouges elle-même, ce qu’on occultait en ne parlant pas d’elle, c’était son combat pour les droits des femmes et donc l’histoire de la moitié de l’humanité.
À l’école, dans les cours d’histoire, les figures de femmes sont absentes ou très peu présentes. Lors de vos études d’histoire, avez-vous étudié le rôle et la place qu’ont eus les femmes ?
EM : Même à l’université, au début des années 2000, j’ai très peu étudié l’histoire des femmes, sauf à choisir moi-même des options dédiées. Quand j’ai entendu parler de la place des femmes au sein des enseignements obligatoires, c’était toujours de manière « annexe », un chapitre d’un cours, comme si l’histoire des femmes était une histoire à part de celle de l’humanité. J’ai par exemple eu à présenter un exposé oral sur la place des femmes en Rome antique, un travail de recherche qui n’a pas manqué d’éveiller ma conscience féministe en passant. J’espère que les choses ont évolué depuis ; l’histoire des femmes ne devrait pas être traitée à part mais bien traitée au sein de l’enseignement historique général. Dans tous les contextes, à toutes les époques, partout dans le monde. Je vois un peu mon site, mes livres, comme des « pis-aller » en attendant un traitement véritablement équitable de l’histoire.
Votre livre est extrêmement fourni et bien construit. Combien de temps vous avez mis à l’écrire ? Comment avez-vous procédé dans le choix des femmes et mouvements de femmes que vous présentez ?
EM : Merci ! Le livre m’a trotté dans la tête pendant des années, pendant que j’accumulais dans les articles de mon site des exemples de réseaux et de mouvements de femmes souvent anonymes à travers l’histoire. Quand je me suis mise sérieusement au travail, j’avais donc déjà compilé la plupart des histoires que je présente dans mon livre. Je les ai sélectionnées en veillant à prendre des exemples les plus divers possibles : chronologiquement, géographiquement, thématiquement. Je voulais des femmes du monde entier, de toutes les époques, de tous les milieux sociaux et de tous les domaines (sciences, militantisme, art et culture, sport, domaine militaire…). Une fois le sommaire sélectionné, le travail d’approfondissement des recherches et de rédaction a dû me prendre environ six mois.
Vous gérez le site « L’histoire par les femmes » depuis plusieurs années. Est-ce que ce projet de livre était un moyen de toucher un autre public ? Qu’est-ce qui vous a motivée à l’écrire ?
EM : Toucher un autre public oui, mais surtout aborder les choses différemment. Dans mon site « L’Histoire par les femmes« , j’évoque dans chaque article l’histoire d’une femme, nommée et identifiée, pour la remettre en lumière. Avec le livre Bandes de femmes, je voulais prouver que ces quelques femmes ne sont pas des exceptions, mais que les femmes dans leur ensemble ont joué un rôle, eu un impact, des droits et capacités d’action, bien supérieurs à ce qu’on imagine. Schématiquement, dans le livre, contrairement au site, je cherche à mettre en avant les anonymes. C’est une démarche complémentaire.
Le colonialisme a-t-il entraîné l’invisibilité des femmes ? Les Minos, les Cherokee, l’île de la Corse et le droit de vote des femmes perdu quand elle devient française, les Ialodes au Nigeria et tant d’autres dont vous parlez dans votre livre peuvent en être l’illustration, me semble t-il.
EM : Absolument ! Il est impossible de tirer des généralités sur l’impact de la période coloniale sur le statut des femmes tant les contextes sont divers pour une multitude de raisons : longueur de la période, étendue géographique des empires coloniaux, multitude de peuples et de cultures dans les territoires colonisés, attitudes différentes des colonisateurs… Mais la période coloniale marque souvent un recul dans le statut et les droits des femmes, notamment en Amérique du Nord et en Afrique de l’Ouest. Les colons n’ont souvent accepté comme interlocuteurs que des hommes, privant les femmes des rôles politiques qu’elles pouvaient avoir. D’un point de vue économique également, le travail salarié qu’ils ont mis en place, les évolutions de l’agriculture… étaient bien souvent réservés aux hommes. Les femmes y ont perdu de l’autonomie financière, et par là du statut au sein de la famille.
Est-ce que certains livres vous ont construite en tant que femme et en tant qu’historienne ? Si oui, quels sont-ils ?
EM : Ce n’est pas un livre à proprement parler mais un texte : la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, bien entendu !
Laura est amoureuse des voyages et des livres. Elle adore particulièrement les BD, les mangas et la littérature jeunesse. Elle travaille avec les ados depuis plusieurs années en tant qu’éducatrice spécialisée et médiatrice culturelle. Dans le cadre de son travail et dans sa vie personnelle, elle aime partager ses lectures, ses découvertes et surtout donner envie de plonger dans des univers parfois méconnus.