Après Cruelle, première bande dessinée autobiographique, l’autrice Florence Dupré de la Tour poursuit ce récit avec le premier épisode de Pucelle, Débutante. Elle délivre à travers les mémoires de son enfance, une puissante réflexion sur la nécessité d’une éducation à la sexualité et à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Florence Dupré de la Tour plante le décor familial, dès les premières aquarelles de cet ouvrage, avec un époustouflant recul et une surprenante autodérision. Elle dénonce sans détour l’éducation reçue dans sa famille qu’elle qualifie d’« expats », blanche, riche, chrétienne, le « summum de la civilisation humaine », où la sexualité est complètement interdite et les stéréotypes genrés sont très renforcés.
« Ne sait-elle donc pas que c’est interdit »
Dans sa famille la sexualité, c’est tabou, interdit, une complète souillure. Pourtant petite, Florence s’interroge et essaye de trouver les réponses, elle voit bien que « quelque chose » lui échappe. Elle ne comprend pas cette vulve qu’elle a entre ses jambes ni comment le petit dernier de la famille est arrivé là. Elle les pose les questions, mais se retrouve toujours face au silence ou la gêne de sa famille. Parfois une « explication » est donnée, comme celle de la « petite graine » dans le ventre de sa maman, mais jamais la réalité ! Ce tabou se poursuit donc à l’adolescence, l’époque où les corps se transforment et où les premières règles apparaissent — où la honte et la peur prennent alors le dessus. « Mais qui a donc laissé une culotte souillée dans le panier à linge sale » hurle la mère de Florence, qui ne lui a pourtant jamais expliqué pourquoi cela lui était arrivé. La jeune adolescente aurait pourtant bien aimé qu’on réponde à ses interrogations et qu’on lui apporte une éducation sexuelle.
« Je ne veux pas être une fille »
L’autrice revient également, avec son humour ravageur, sur l’importance des modèles non stéréotypés des genres pendant l’enfance. Elle se souvient des manuels scolaires remplis de figures masculines conquérantes, exploratrices, guerrières et de la fameuse règle d’orthographe « le masculin l’emporte sur le fém… ». Les femmes n’existent tout simplement pas. Et à la maison, les rôles genrés sont également présents. Papa travaille dur, gagne de l’argent pour faire subsister la famille, rentre tard et épuisé le soir. Maman quant à elle ne « travaille pas », elle s’occupe « juste » du ménage, du repassage, des repas, des devoirs, de la vie sociale, de la santé de la famille… L’homme domine et la femme se soumet. Et la jeune protagoniste ne comprend pas cette répartition genrée des rôles sociaux. Difficile donc d’envisager de se construire dans un monde où les femmes sont au mieux cantonnées au gynécée, pire complètement effacées.
« Et cette petite boule vint se loger là, dans la poitrine, au niveau du plexus solaire »
Au fil de ses bulles rose et grise, Florence Dupré de la Tour illustre avec brio les conséquences de ces silences et de cette éducation sur sa construction. De nombreuses angoisses sont apparues face à cette incompréhension et elles sont restées logées dans ce corps d’enfant puis d’adolescente. Elle en fait de sombres et nombreux cauchemars. Mais elle a aussi des réactions parfois violentes notamment face à son corps qu’elle ne peut apprivoiser, face à ses parents qui la laissent dans l’ignorance, face à ses camarades. Face à l’autre, tout simplement, qu’elle ne peut comprendre puisqu’impossible de se comprendre elle-même.
Au-delà du récit personnel puissant qu’est Pucelle, Florence Dupré de la Tour revient donc sur la grande importance de l’apprentissage des corps et de la sexualité pour toutes et tous quel que soit le milieu social, en particulier pour les femmes dans un monde où subsiste encore de puissantes inégalités de genre. Une aventure à suivre, puisqu’il ne s’agit que d’un premier volet.
Juriste et doctorante engagée pour la défense des droits sexuels et procréatifs des femmes et plus généralement de l’égalité entre les genres, elle a été bercée en partie grâce à Simone, Yvonne, Gisèle, Hélène, Françoise et les autres, par la maïeutique des mots et des êtres humains depuis sa propre naissance.