Ce roman jeunesse qui se déroule en 1885 nous plonge dans le quotidien d’une adolescente, Lucie, qui mène une vie bourgeoise avec ses parents, son grand frère qu’elle ne supporte pas et une armée de domestiques. On lui explique dès son plus jeune âge que si elle veut avoir de belles choses, comme du satin grenadine – un tissu des plus soyeux –, il faudra qu’elle se marie à un homme riche. Ou encore qu’elle demande à son père. On inculque alors aux filles qu’elles seront toujours sous la tutelle d’un homme. Son père est rustre et bien dans l’ère du temps. Il préconise une éducation bien particulière pour les jeunes filles :
« […] il n’y aura chez moi ni philosophie, ni latin, ni science en jupons. Tant que je serai le chef de cette maison, on y élèvera les filles pour en faire des épouses, et pas des institutrices moustachues, des anarchistes qui préfèrent porter la culotte que des enfants. »
Lucie est éduquée par Marceline, jeune fille à peine plus âgée qu’elle, qui lui apprendra la liberté et l’aidera à s’épanouir. Plus révolutionnaire aux « idées socialistes » que gouvernante modèle, elle lui apprend l’histoire, lui fait faire du travail de maison et frayer avec les employé·e·s.
Déjà considérée comme une forte tête, Lucie s’imagine avec raison qu’un jour les femmes pourront courir nues chez elles, se couper les cheveux courts comme des garçons et disposer de leur corps et de leur liberté de pensée. L’époque n’est pas encore prête à ça et son éducation est larvée de principes inégalitaires entre les garçons et les filles mais Lucie se prend à rêver : « – Fanny, quand nous aurons trente ans, le monde sera socialiste et féministe. Je me demande si la mode sera toujours aux robes de bal. »
La jeune fille a cru que la révolution féministe allait avoir lieu rapidement mais malheureusement nous n’y sommes pas encore tout à fait. Il faudra attendre près d’un siècle pour que le sursaut se fasse sentir.
Au fil de l’intrigue, Lucie va peu à peu perdre ses œillères – notamment grâce à des rencontres –, qui la maintenaient dans un petit univers grand bourgeois, dans un système de pensées étriqué, dans une cage dorée limitée à seulement quelques quartiers de Paris. L’atmosphère légère d’un foyer régenté par les conventions et drapé dans le confort va en fait se révéler lourde de contraintes et d’injonctions. Lucie va s’ouvrir au monde, découvrir le quartier des Halles, où fourmillent des idées politiques nouvelles et où peut voir d’autres réalités.
Ce roman jeunesse, à l’écriture élégante et au propos vindicatif, montre le pouvoir destructeur et limitant d’une éducation « féminine », faite de bonnes manières et d’un apprentissage de la soumission, mais aussi la force qui peut permettre à certaines femmes de la réfuter, de garder leur liberté et de s’épanouir.
Satin Grenadine de Marie Desplechin a paru la première fois en 2004 à L’école des Loisirs et a réédité en mai 2018.
Éveillée au féminisme – entre autres – par Simone de Beauvoir, énervée par les inégalités et le sexisme insidieux, apaisée par les livres et motivée par la réflexion, elle a créé ce site. Car lire, c’est bien mais partager ses lectures, c’est encore mieux.