Starr Carter a 16 ans lorsqu’elle est témoin de l’assassinat de son ami d’enfance noir par un policier, un soir où ils revenaient ensemble de soirée en voiture. Soutenue par sa famille, Starr va apporter son témoignage aux policiers le soir même. Mais durant longtemps, aux yeux des médias et des associations de soutien contre les violences policières, elle ne dévoilera pas son nom. Pour se protéger, mais aussi par peur, peur de l’indifférence, de son manque de crédibilité, peur de l’exposition pour un combat qui l’assignerait à une identité et seulement à elle.
Angie Thomas travaille à décrire et mettre en scène des personnages d’une grande profondeur, notamment par leur complexité politique. Starr est une jeune fille qui vit dans un ghetto. Noire et issue d’une famille noire, elle fréquente un lycée de Blanc·hes riches. Ses meilleures amies et camarades de basket sont blanches ou en tout cas en aucun cas noires. Son petit ami est blanc et riche. La famille de Starr est noire, vivant dans le ghetto, et son père est un grand admirateur des Black Panthers, de Malcolm X.
Ainsi elle a conscience que son rapport aux institutions, policières en particulier, ne sera jamais le même que pour les Blancs. Elle apprend à ne pas baisser la tête face aux flics mais aussi à en avoir peur et à se méfier d’eux, alors même que son oncle noir qui l’a élevée durant les premières années de sa vie est policier. L’histoire se concentrera sur la volonté de Starr de raconter son témoignage au grand public. Le veut-elle réellement, le souhaite-t-elle ? Elle fut placée dans une situation de témoin du racisme contemporain et même meurtrier. Ainsi, sa conscience politique l’engage à la prise de parole, à la prise de position tandis qu’elle refuse d’être cataloguée comme « la Noire en colère, agressive » dans ce monde blanc qu’elle fréquente.
Revendiquer une discrimination raciale dans un monde blanc peut prendre deux chemins dans l’imaginaire collectif, il est soit question d’une assignation identitaire politique, soit d’une victimisation. Le premier tend à dessiner des femmes noires systématiquement agressives et qui ne voient les phénomènes que par le prisme de la race, le second rend incapacitante dans le regard de l’autre et dans le regard que nous portons sur nous-mêmes. Starr va ainsi arpenter son chemin de militante, témoin, et femme noire entre ces deux catégories, aidée de son histoire personnelle complexe et de ses relations sociales pleines de nuances.
Son histoire personnelle est aussi marquée par la réaction de la communauté, de la famille de la victime, par la prise de position politique des associations militantes de quartier. L’histoire de Starr est ancrée dans celle des ravages faits au sein des populations noires américaines, ce qui est effrayant et ne doit pas resté tu. L’injustice est partout, dans le racisme ordinaire qu’elle vivra auprès d’une de ses copines, blanches et riches, dans la réaction des policiers qui comme souvent ne reconnaîtront pas la culpabilité de leur confrère ce soir-là, dans la capacité des médias à écouter l’histoire de ce policier racontée par le père de celui-ci pour expliquer le geste de son fils cette nuit-là, et dans le mépris de la justice que les gens du ghetto ressentent.
Il n’est pas uniquement question du meurtre des Noirs par les policiers blancs ici, il est surtout question d’inégalités sociales structurelles dans la société contemporaine américaine (et par extension dans d’autres). Le rapport à la prison, à la violence, à la misère sociale, au manque d’aides sociales, aux inégalités économiques et de perspectives, à la drogue, ce sont tous ces thèmes-là qui sont abordés, vus par une jeune fille noire de 16 ans vivant à l’intersection des deux mondes. Dès lors, Starr fait l’expérience de l’intersectionnalité, notamment dans sa relation avec le jeune Chris (fils de riches, blanc) qui ne pourra jamais comprendre ce que c’est que la vie d’une Noire dans un ghetto.
Starr ne perd jamais de vue qu’elle aura un combat personnel à mener, elle ne l’oublie pas lorsqu’elle se livre à Chris au sujet des disparitions d’amies qu’elle a connues dans sa vie à cause de la violence des gangs, et à cause de policiers racistes. Il lui faudra s’imposer face à lui ; puisqu’il ne peut pas comprendre, il doit se taire et écouter. Elle doit lui apprendre à devenir un allié. C’est s’imposer en tant que Noire face à un Blanc, c’est aussi s’imposer en tant que femme face à un homme, avec lequel il existe une relation intime. Il souhaiterait tout effacer, tout rééquilibrer mais le complexe du super-héros n’a pas sa place ici et Starr le lui fera remarquer. La force de Starr vient en partie de sa mère qui a dû supporter les trois années de prison dont le père de Starr écopera et l’adoption d’un fils né d’un adultère. C’est une famille composite que celle des Carter, trois enfants dont un issu d’une union adultère. Pour la mère de Starr, l’enjeu est de quitter le ghetto, habiter ailleurs pour ne plus avoir peur pour ses enfants, mais elle ne veut pas le délaisser pour autant. « Quitter le ghetto ne veut pas dire l’abandonner », réplique la mère de Starr à son père, seulement mieux se protéger pour mieux le défendre.
Le titre n’est pas un hasard, mais un signe de ce que connut l’autrice avant d’écrire ce roman et la découverte d’un art souvent stéréotypé : le rap. T.H.U.G L.I.F.E, The Hate U Give Little Infants Fucks Everybody, traduit par la phrase suivante dans le roman « La haine que tu donnes aux jeunes te pètera à la gueule ». Cette phrase issue d’un des morceaux de Tupac revient comme un beat dans cette histoire, puisqu’elle signifie que si la société démontre une haine à une communauté de personnes, alors il ne faut pas s’étonner que cette communauté réponde par la violence. Les manifestations, les émeutes, la création d’associations militantes de quartier ne sont que la conséquence face à une haine structurelle d’une certaine frange de la population. Avant d’écrire ce premier roman, l’autrice était rappeuse et animait des atelier sur l’écriture du rap. Elle nous fait ainsi partager le message politique d’un certain rap américain. Ce qu’elle démontre alors, c’est la puissance des mots, le pouvoir de la parole. Utiliser sa voix sert à sortir de l’invisibilisation, Starr en prendra-t-elle conscience ?
C’est un livre jeunesse et c’est une super nouvelle. Les éditions jeunesse s’engagent peu à peu sur des terrains politiques et ils le font très bien dans The Hate U give. Si vous voulez lire un très bon roman anti-raciste et féministe, peu importe votre âge, lisez The Hate U Give !
Livre paru le 5 avril 2018 aux éditions Nathan. Il a été adapté en film par George Tillman Jr. en octobre 2018.
Elsa est une afro-féministe radicale, employant l’écriture inclusive, lisant autant que possible pour formuler sa pensée féministe et anti-raciste. Bell Hooks (en photo ci-contre) fait partie de ses maîtresses à penser, notamment à propos de l’intersectionnalité et de la sororité. Et effectivement, partager ses lectures et ses critiques est encore le meilleur moyen de diffuser, créer des liens et des ponts et qui sait peut-être qu’un jour l’accomplissement de la révolution féministe et anti-raciste verra le jour !