La SFFF (science-fiction, fantasy, fantastique), beaucoup d’entre nous sont passées à côté pendant nos premières années de lectrices, parce que souvent c’était un boys’ club (force à toi si tu as grandi dans les années 80/90), parce que plein de bouquins par ailleurs géniaux étaient bourrés de clichés sexistes jusque sur leurs couv’ à pin-up elfiques ou spatiales, parce qu’encore dans les best-sellers récents du genre y a du boulot pour passer le test de Bechdel et pas se manger des scènes de viol, parce qu’à l’école on t’explique qu’il est temps de grandir maintenant, parce que parce que parce que.
Mais il est jamais trop tard, et c’est comme les brocolis, peut-être que tu es convaincue de détester ça parce que les brocolis bouillis sans sel de la cantine c’est effectivement immonde, mais que peut-être ça mérite qu’on essaie autre chose. (Si tu détestes définitivement les brocolis et la SFFF, c’est pas grave, hein, y a plein de légumes et de livres fabuleux et c’est pas moi qui te dissuaderait de planter les choux que tu veux dans ta bibliothèque – et j’arrête là ma métaphore : cette chronique a été rédigée par une autrice en promo/prof de français en phase de correction du bac/mère de 3 enfants en pleine tournée des spectacles du mois de juin, et on sent la fatigue). Alors pourquoi pas se mettre, cet été, à l’imaginaire, plutôt qu’au yoga somatique ou aux apps de méditation.
Voici donc 5 suggestions pour te faire une petite douceur cet été, entre la plage et l’apéro si tu vis dans Biba, ou entre les vagues de l’effondrement si tu vis en France. Une petite sélection avec des super persos féminins qui ne tombent pas dans les archétypes rebattus, des plumes féminines qui proposent de penser l’imaginaire et la littérature autrement.
Tu as envie de quoi ?
– la meilleure romance lesbienne ET du voyage dans le temps -> Les oiseaux du temps d’Amar el-Mohtar et Max Gladstone. Ce bouquin a connu un buzz pas possible suite à un tweet qui enjoignait à le lire sans aucune info et sans poser de question, ce que j’ai évidemment fait car je suis super influençable. Or c’était un bon conseil. C’est une petite merveille d’écriture, d’émotion et d’intelligence, ça se lit en une après-midi et ensuite tu soûles tout le monde en leur disant que c’est génial mais au moins pendant ce temps vous oubliez l’existence des JO. Voilà, je respecte la consigne, je n’en dis pas plus. Lisez-le.
– une trilogie parce que l’imaginaire ça se mange entrée-plat-dessert -> Les livres de la terre fracturée de N. K. Jemisin. J’ai essayé de chroniquer cette série mille fois et échoué parce qu’en parler bien sans la spoiler, c’est vraiment pas simple. Le récit prend pour cadre un monde où, bien loin du cliché de la Terre-mère victime sacrificielle et aimante malmenée par les hommes, sévit un Terre-père qui hait les humains et veut les annihiler à force de séismes et de catastrophes. Les quelques individus qui peuvent prévoir et contrôler les phénomènes géologiques sont aussi convoités pour leurs pouvoirs qu’objets de haine et de méfiance. Superbe écriture de personnages féminins, superbes twists, monde et propos incroyablement riches.
– de l’horreur post-apo parce que franchement la période est lourde et t’as pas le cœur à la légèreté -> Tonnerre après les ruines de Floriane Soulas. Attention, hein, c’est fortement dosé en désespérance, en monstruosité scientifique et en abomination cannibale. Le monde y est ravagé sur tous les plans, malade de tout, prêt à toutes les atrocités. Mais l’autrice a souvent exprimé quelque chose que je partage : il y a une forme d’espoir étrange au creux du post-apo. Dans l’amitié entre les deux héroïnes, dans ce qui les lie malgré les traumas qu’elles ont vécus et les horreurs qu’elles seront capables d’infliger, dans ce qui peut se construire des marginalités les plus absolues. Si tu te dis que tu es peut-être capable d’affronter les goules à condition de pas être toute seule, ça te tiendra compagnie. (Mais j’insiste, hein, c’est vraiment sombre, ne lis pas ça si tu es déjà au fin fond de la déprime, s’il te plaît.)
– de l’imaginaire accueillant parce que franchement la période est lourde et tu veux t’évader -> Cimqa d’Auriane Velten. C’est un de ceux que j’offre aux copines persuadées de pas aimer les brocolis. Deux mondes, deux protagonistes, Sara et Sarah : une gamine dans un monde où la cinquième dimension, celle des créations imaginaires, commence à s’inviter dans le monde réel ; une réalisatrice de fictions cinéma en 5D, au bord du burnout artistique. Ce qui les relie, ce qui leur permet de s’explorer, d’explorer l’imaginaire – effrayant, merveilleux, cyniquement exploité ou librement rêvé. De l’amitié et de la romance entre femmes, des créatures magiques et de la résilience. Celui-là, tu peux le lire en pleine déprime, par contre, il devrait t’offrir du réconfort.
– découvrir une œuvre entière pour une fois que tu as le temps -> Octavia Butler, que j’ai déjà évoquée ici mais dont vient de sortir Imago, troisième tome de la trilogie Xenogenesis. Je trouve très difficile de le chroniquer en solo dans la mesure où il n’est pas lisible sans avoir lu les deux premiers tomes, mais si tu les as appréciés, tu retrouveras ici l’aboutissement de la réflexion de Butler sur le métissage, puisqu’après Lilith, humaine alliée aux Oankali et responsable de la réimplantation de l’humanité sur Terre, et Akin, enfant hybride en quête d’appartenance malgré les tensions, on découvre ici Jodahs, au seuil de l’âge adulte, figure de la métamorphose, de la non-binarité et du dépassement des contraires. Je conseille la trilogie, maintenant qu’elle est intégralement dispo en français, aux curieuses comme à toutes celles qui apprécient déjà son œuvre.
Et si tu veux, cet été, te mettre enfin à écrire ?
Alors un sixième conseil : Comment écrire de la fiction ? Écrire, travailler au sein d’un cercle littéraire, tome 4 de la série parue chez Argyll, et co-écrit par le « Cercle des murmures » qui comprend Nadia Coste, Maëlig Duval, Silène Edgar, Agnès Marot, Lise Syven et Cindy Van Wilder Zanetti. Perso, je hais les livres de conseils rédigés par des mecs qui me martèlent leurs règles soi-disant universelles, leurs protagonistes qui bien sûr DOIVENT évoluer selon un scénario attendu et leurs matrices de phrases toutes faites, j’ai envie de leur envoyer mon Virginia Woolf à travers la tronche. Rien de tel ici, ça se lit comme un dialogue entre camarades, c’est une ode à l’entraide dans la création, à l’équilibre entre solitude et partage, et ça fait du bien. Et en plus, ça contient LA lecture obligée des vacances depuis qu’on est ados, UN TEST pour connaître son profil d’auteurice (oui, j’ai été marquée à vie par le spécial tests d’été de Jeune et Jolie, pas toi ?)
Bon été et surtout, courage, camarades.
Mélanie se balade depuis pas mal d’années dans les mondes littéraires et ludiques de l’imaginaire, avec un peu de recherche universitaire sur les mythes, les âmes et les dragons, un peu d’écriture de nouvelles, et beaucoup de lecture. De temps en temps, elle en sort parce que les programmes de l’Éducation nationale exigent qu’on parle d’autre chose aux lycéen·nes. Elle est convaincue qu’il y a des milliers de trésors à partager en SF et en fantasy, et que le cocktail héros couillu, mentor barbu et récit convenu n’y est pas une fatalité.