Créée en 2019, la collection L’Ardeur a l’ambition de proposer aux adolescent.es de plus de 15 ans une alternative à la culture du porno en guise d’exploration des sexualités. Les personnages sont des ados ou de jeunes adultes qui vivent, souffrent, jouissent, hésitent, questionnent leur désir sous toutes ses formes.
Missives vous emmène en terres érotiques adolescentes. Histoire de voir du pays pubère.
Le voilà, l’objet de l’ire ministérielle ! Voué à une censure qu’on croyait d’un autre temps, interdit aux mineurs alors qu’il paraît justement dans une collection destinée à l’exploration des sexualités adolescentes (pour les plus de 15 ans, c’est indiqué sur la couverture et assorti d’un avertissement, certes, tout en nuances, mais d’un avertissement quand même : « Certaines scènes explicites peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes. Ou pas. »)
Qu’en est-il donc de ce roman dont le sort a ému le monde de l’édition jeunesse au cœur de l’été ?
C’est l’histoire de Greg, lycéen, qui fait l’objet des moqueries de ses camarades de classe et en particulier d’un meneur de meute ayant aperçu son zgeg dans les vestiaires de la piscine. « Bien trop petit », voilà ce qu’il en est, dès lors la sentence est tombée, le harcèlement peut commencer, les ricanements, les humiliations, et Greg qui ne veut plus mettre les pieds au lycée, qui déclare à ses parents mettre fin à ses études. Premier sujet : le harcèlement, et ses conséquences, repli sur soi, dépression, déscolarisation. Cause nationale et grand chantier de l’Éducation Nationale s’il en est (mais apparemment un livre qui en parle, ben… il vaut mieux pas le lire, non mais appelez-vous les ministères, soyez raccords un peu). Deuxième sujet : le corps adolescent et ses complexes, et aussi ses pulsions, ses fantasmes inopinés et gênants, tout ce qui donne l’impression à Greg de ne pas être dans la norme, bizarre, déviant ou carrément monstrueux. Pas tout à fait secondaire à l’adolescence, il me semble, même si la mienne commence à s’éloigner légèrement. Alors que fait Greg isolé chez lui, avec ses compréhensifs mais quand même pénibles parents psys ? Il écrit. En ligne, sous le profil Greglitt, sur un site dédié aux adeptes de fanfictions1. Il affectionne l’univers médiéval et met en scène une héroïne, l’intrépide Chloé Rembrandt, qui manie l’épée contre d’effroyables ennemis. Jusqu’au jour où Greg ose la scène explicite. Une utilisatrice du site, Kika93 lui écrit en privé, lui fait part de son enthousiasme, et si Greg est banni du site en raison du contenu à caractère pornographique mis en ligne (Darmanin devait être derrière l’écran) elle lui demande la suite, elle s’intéresse à lui. Il n’en faut pas plus pour échauffer le garçon qui se lance à corps perdu dans une correspondance érotico-littéraire avec Kika93. Troisième et quatrième sujets : la découverte de la sexualité et le lien littérature-érotisme. Et là, ça devient vraiment très intéressant. La première scène qu’ose Greg est un pur produit des fantasmes hétéronormés où la violence est omniprésente et le consentement superflu. Et Kika93 le lui fait remarquer… :
« Alors, c’était ça que tu avais en tête ? La contrainte, la violence ? La pauvre jeune fille malmenée par les méchants ? Rape and revenge ?
Bof.
Je veux dire, pourquoi pas si ça te branche ? Juste, je ne te suivrai pas. J’ai lu Histoire d’O. et mêmes quelques trucs du Cycle de Gor. J’ai trouvé ça plutôt ennuyeux. En tout cas limité dans l’imagination. Ça me met plutôt mal à l’aise – parce que ça ne m’amuse pas tout simplement. »
Obsédé par le désir de plaire à sa lectrice, Greg écoute ses remarques et va modifier son texte au fur et à mesure des fantasmes exprimés par Kika93, de ses préférences. On a donc un personnage à l’écoute de sa partenaire virtuelle qui va s’ouvrir à d’autres horizons érotiques et sortir des stéréotypes du porno par l’échange. Ça mérite bien une interdiction aux mineurs cette affaire, il ne faudrait quand même pas que la jeunesse se dise qu’on peut vivre une sexualité en dehors du marécage pornographique ambiant ! Alors oui, les scènes sont explicites, les mots sont crus mais faut-il rappeler que les adolescents d’aujourd’hui peuvent à douze ans, avoir déjà vu des scènes d’éjaculation faciale et de gang bang parce que c’est hyper facile d’accès sur internet et qu’iels sont surexposé.e.s aux écrans? Qu’une alternative au porno est indispensable pour contrer les récits d’humiliation et de violence sans éviter le sujet de la sexualité, sans l’édulcorer non plus, de manière responsable, bienveillante, délicate et drôle aussi pour dédramatiser tout ça, comme le fait si bien Manu Causse ? Faut-il rappeler qu’un livre en général, et celui-ci en particulier, a cela d’extrêmement respectueux qu’il nous permet à chaque instant de le refermer, de sauter des paragraphes, de s’adapter à notre rythme de lecteur.ice tandis que les images qui surgissent dans nos quotidiens et ceux des ados s’impriment sur les rétines sans crier gare et souvent pour longtemps ?
Dans son livre, Manu Causse s’adresse aux ados qui complexent sur une ou plusieurs parties de leurs corps, il s’adresse à celleux qui ont la trouille et terriblement envie en même temps de faire leurs débuts dans la sexualité, qui ne savent pas comment s’y prendre, ni à quoi s’attendre, il s’adresse à celleux qui se croient monstrueux dans leurs fantasmes alors que la tempête hormonale les ballotte dans tous les sens, il s’adresse aux parents démunis qui ont oublié, mis à distance leur propre adolescence et qui font ce qu’ils peuvent avec ces mômes trop vite grandis qui ont désormais des chagrins indifférents aux bisous magiques. Enfin, il s’adresse à celleux qui écrivent avec le souci constant de leur lectorat et qui ont compris que la littérature était un merveilleux dialogue avec les absent.e.s.
Un grand merci au ministère de l’Intérieur qui a attiré notre attention sur ce roman !
Une rencontre littéraire exceptionnelle sur la littérature adolescente érotique
Jeudi 30 novembre à 19h30 chez libertalia, Missives reçoit Charline Vanderpoorte (L’ardeur) et Hélène Vignal (autrice) : elle unit ses forces à celles qui contrent l’obscurantisme d’un monde qui veut réduire au silence ce qui sauve, ce qui émancipe, ce qui bat fort au fond de nos ventres. Suite à l’interdiction aux mineurs de Bien trop petit cet été au prétexte que des scènes explicites pourraient heurter la sensibilité d’un jeune lectorat et pervertir la jeunesse selon l’arrêté du 16 juillet 1949, Thierry Magnier l’éditeur de la collection réaffirme le rôle capital des livres dans la construction de l’identité, sexuelle a fortiori à l’adolescence. « À l’heure où la consommation d’images pornographiques violentes et sexistes explose chez les plus jeunes, à l’heure où l’éducation à la sexualité peine à exister, il nous semblait au contraire essentiel d’oser proposer à nos lecteurs et lectrices, grands ados et jeunes adultes, des œuvres littéraires traitant avec soin et conviction de ces enjeux cruciaux. » (cité sur le site Actualitté)
1Fanfictions ou fanfics : celleux qui s’y adonnent choisissent un personnage qu’iels affectionnent issu d’un film, d’une série, d’un manga, et prolongent ses aventures telles qu’iels les imaginent.
Après s’être aperçue qu’en 116 ans d’existence le Goncourt avait été attribué à 12 femmes et 104 hommes, elle s’est dit que certes, une chambre à soi et un peu d’argent de côté ça pouvait aider à écrire des livres – et que les femmes manquaient souvent des deux – mais qu’il y avait quand même, peut-être, un petit problème de représentation dans les médias. C’est ainsi qu’elle a décidé de participer à Missives, heureuse de partager son enthousiasme pour les autrices qui la font vibrer, aimer, réfléchir et lutter.