Fatima Daas signe son premier roman et fait avec La Petite dernière une entrée fracassante dans la vie littéraire.
Adoubée par Virginie Despentes, la jeune autrice nous livre une autofiction traversée par l’amour, le désir et la foi. Traversée aussi par les doutes et la difficulté à concilier les identités multiples et les injonctions contradictoires. Banlieusarde et étudiante à Paris, algérienne, française, musulmane, lesbienne, elle cherche à rassembler les fragments d’une identité schizée en questionnant la psy aussi bien que l’imam. À travers les émouvants portraits de ses parents, esquissés tout en délicatesse, les instantanés d’une adolescence qui voit naître un désir plein de culpabilité pour les filles et toute une galerie de personnages secondaires évoqués le plus souvent avec beaucoup de tendresse, Fatima Daas nous livre le récit de ses difficultés à se tenir en équilibre dans le chaos qui fait sa vie et, si souvent, les nôtres.
La Petite Dernière est à bien des égards un roman qui traite de la loyauté, celle que l’on doit à sa famille, à sa classe sociale, à sa religion, à sa communauté, qui rassemble tous les liens qui nous ont fait grandir et nous permettent de nous ancrer sur cette terre si mouvante. Mais que se passe-t-il quand cette loyauté entre en conflit avec ce que l’on se doit à soi-même ? Par son récit, Fatima Daas soulève une série de questions. Comment ne pas trahir ? Comment être soi sans heurter sa famille ? Comment aimer Allah et Nina avec la même ferveur ? Comment oser écrire quand on déplore des études littéraires passées à « lire et commenter des textes écrits exclusivement par des hommes blancs hétéros cisgenres » ? Fatima Daas pourrait déclarer avec Fatou Diomé – ces deux-là ont sans doute en commun plus que leurs initiales – « Je cherche mon pays là où on apprécie l’être-additionné, sans dissocier ses multiples strates.* » Si l’écriture ne sauve personne, elle dessine la possibilité de constituer ce pays, comme un refuge offert aux perpétuel·le·s errant·e·s de l’existence.
Le style est sec, efficace, incisif et peut faire penser à « l’écriture plate » d’Annie Ernaux, d’ailleurs citée dans le roman comme figure tutélaire avec Marguerite Duras. Fatima Daas – ou du moins le personnage de Fatima Daas – est une asthmatique qui avoue négliger son traitement : on entend par moments son souffle court et saccadé infuser son écriture, jusqu’à la prochaine inhalation de Ventoline qui laisse les phrases s’allonger, le rythme ralentir et s’apaiser. L’autrice cite le Coran qui l’accompagne, les moments de sérénité passés à lire à voix haute les versets qui composent le texte sacré et, là encore, son écriture à la dimension incantatoire s’en ressent, avec ses phrases tantôt heurtées et allusives, tantôt beaucoup plus amples.
Depuis sa parution, ce premier roman ardent provoque un vif engouement critique : « la voix furieusement contemporaine qu’on attendait » pour les Inrocks, « révélation » selon Tewfik Hatem sur France Culture. On peut supposer que le combo banlieue, islam et homosexualité féminine a de quoi affoler le milieu littéraire, mais c’est aussi le signe que l’envie d’entendre des voix jusque là inaudibles est manifeste. Fatima Daas, « petite chamelle sevrée », entre en littérature et laisse la porte grande ouverte à toutes celles et ceux qui s’aventureront dans le courageux sillon tracé à la serpe par La Petite dernière. Une grande première !
*Fatou Diomé, Le Ventre de l’Atlantique, 2003.
Après s’être aperçue qu’en 116 ans d’existence le Goncourt avait été attribué à 12 femmes et 104 hommes, elle s’est dit que certes, une chambre à soi et un peu d’argent de côté ça pouvait aider à écrire des livres – et que les femmes manquaient souvent des deux – mais qu’il y avait quand même, peut-être, un petit problème de représentation dans les médias. C’est ainsi qu’elle a décidé de participer à Missives, heureuse de partager son enthousiasme pour les autrices qui la font vibrer, aimer, réfléchir et lutter.