« À bien y réfléchir, Aurore aurait préféré naître homme. »
C’est sur cette réflexion d’une jeune fille qui grandit à la veille de la Seconde guerre mondiale à Nice que débute le second roman d’Émilie Houssa[1].
Dans La Possibilité du jour[2], l’autrice prête sa voix à Aurore, une femme qui ne cessera, sa vie durant, de questionner les injustices et les injonctions qui pèsent sur la vie des femmes dans un XXe siècle guerrier et masculin. Le premier chapitre est un résumé, à la troisième personne, des étapes majeures de la vie de cette femme, dont nous allons par la suite découvrir le détail et la profondeur à travers un journal à la première personne.
Alors qu’elle attendait l’amour d’un homme pour se construire une vie, son histoire commence par une promesse de mariage brisée outre-Atlantique qui la laisse seule et abandonnée au fin fond de l’Ohio. La décision qu’elle va prendre à la suite de cette première confrontation avec la lâcheté masculine va être déterminante. À la fin des années 1940, une femme victime d’une injustice est forcément considérée comme coupable de sa condition. Elle ne pouvait pas rentrer en France dans la honte et le déshonneur, elle choisit donc de rester en Amérique et d’y chercher du travail.
« La société m’interdisait l’existence, mais je désirais vivre. Je devais trouver un moyen de respirer de nouveau. »
La suite de sa vie va être une course effrénée vers la liberté, une course semée d’embûches tant dans sa vie professionnelle, que sentimentale ou familiale. Ce qu’elle avait pressenti enfant, elle va le subir adulte : les femmes sont poursuivies, quoi qu’elles entreprennent, par ce qu’elle appelle le « monstre quotidien », un « monstre résolu prenant la forme de toutes ces nécessités intangibles, toutes ces actions évidentes de bêtise interdisant la pensée, mécanisant le geste. » Tenir un foyer, élever les enfants, s’assurer du bien-être de son entourage… Aurore fera tout pour échapper à cette prison domestique.
À travers la vie de cette femme forte, ambitieuse, militante et hédoniste, Émilie Houssa aborde de fronts plusieurs questions majeures qui ont traversé le siècle : le sexisme systémique du monde du travail, l’horreur des avortements clandestins, le mouvement pour les droits civiques ou encore les violences policières racistes. Elle parvient également à dresser le portrait d’un capitalisme hypocrite et opportuniste qui voit dans LA femme une cible rêvée : « elle n’était plus seulement regardée comme une machine à pain, elle commençait à être considérée comme un élément politique important, c’est-à-dire une consommatrice. »
Enfin, La Possibilité du jour est une ode à la sororité, à sa puissance créatrice et à sa force transformatrice. Même si l’amour des hommes tiendra une place importante dans sa vie, c’est entourée de femmes qu’Aurore s’épanouira pleinement.
Un roman d’apprentissage historique et féministe mené par une plume aussi poétique que combative.
[1] Son premier roman, La Nuit passera quand même, est paru en 2018 aux éditions Denoël.
[2] La Possibilité du jour, Éditions de l’Observatoire, 2020.
Viscéralement littéraire, éditrice de formation, libraire de profession, Manon passe une grande partie de son temps entourée de livres. Mona Chollet a changé sa vie, même si elle ne le sait pas. À ses côtés, Virginie Despentes, Simone de Beauvoir, Manon Garcia et tant d’autres forment le bouclier qui l’aide, pas à pas, à faire reculer le patriarcat.