Que vous soyez parisienne, ou non, le premier livre de la journaliste française Alice Pfeiffer évoquera des thématiques qui vous toucheront très certainement. Dans ce livre, paru aux éditions Stock, la jeune femme y analyse les pressions qu’implique le cliché de la femme parisienne.
Intitulé Je ne suis pas parisienne, l’essai tend à montrer que beaucoup de femmes vivant à Paris ne se retrouvent pas dans l’imaginaire de la Parisienne. Plus encore, il montre clairement une volonté de refuser les normes imposées par cette mythologie de la Parisienne. Aujourd’hui, la femme française – et plus particulièrement la Parisienne – n’a pas nécessairement grandi à Paris, n’est plus fine, jeune, blanche, hétérosexuelle, chrétienne, bourgeoise et en pleine santé, affirme Alice Pfeiffer.
Pourtant, c’est cette imaginaire qui nous vient à l’esprit quand on pense à « la Parisienne ». Tout naturellement donc, beaucoup de femmes ne se reconnaissent pas dans cette image, ce fardeau, qui « représente une énorme pression » pour elles.
La Parisienne, cette licorne
Pas assez maigre, honte d’avoir grandi en province, de ne pas posséder la dernière tendance ou tout simplement d’avoir la flemme, Alice Pfeiffer exprime à quel point l’idée que l’on se fait de la Parisienne provoque une exclusion directe de beaucoup de femmes. Cela demande aussi un effort important, car parfois, le cliché incite certaines à tout faire pour pouvoir devenir celle qui fait tant rêver – et être intégrée parmi la communauté parisienne.
Pour autant, rappelle Alice Pfeiffer, la femme parisienne est « une licorne ». Personne ne l’a jamais vraiment vue. Elle n’existe pas. Impossible d’obéir à toutes ces injonctions, même avec la plus grande volonté. Mais quoi qu’il arrive, il y aura toujours quelqu’un pour constamment rappeler à l’ordre celles qui tenteraient d’ignorer ce mythe.
Ce phénomène, Alice Pfeiffer l’illustre avec son arrivée à Paris après plusieurs années à Londres : un serveur à la gare lui intime de ne pas se resservir des frites – se tapotant les hanches, comme pour lui indiquer la direction que prendraient les calories des éventuelles frites supplémentaires. Ce genre de situations, Alice Pfeiffer ne manque pas d’en avoir vécues.
L’autre « Parisienne »
Journaliste spécialisée dans les questions de genre ayant beaucoup travaillé pour la presse féminine, elle écrit dans Je ne suis pas parisienne à quel point l’industrie de la mode et du luxe ont leur rôle à jouer dans ces normes autour de la Parisienne. À quel point elle les a elle-même vécues aussi – en arpentant le monde de la mode – parfois blâmée par une rédactrice en chef si elle grignotait au bureau. Avec les exemples de la cagole, de la cougar ou encore de la beurette, elle montre pas à pas que la Parisienne d’aujourd’hui n’est plus celle des publicités et celle qui fait rêver à l’international. Peut-être même ne l’a-t-elle jamais été, suppose-t-elle.
“Cet ouvrage est dédié à toutes celles qui un jour ont eu honte de l’accent, du métier ou de l’apparence de leurs parents, de leur poids, ou encore des baskets qu’elles n’avaient pas reçues à Noël. Elles méritent néanmoins de représenter fièrement ce pays qui est aussi le leur. Je suis Parisienne et pourtant je ne le suis pas – mais ce n’est pas de moi qu’il s’agit ici. Après dix ans de journalisme de mode pour les médias français, anglais et américains, j’ai cerné une passion pour un mythe, ‘une imitation qui n’a pas de version original’ pour citer Judith Butler. Un unique visage français, une Parisienne imaginaire, incarnée année après année par des personnalités en copie conforme, coopte le récit de la mode – et dévoile l’absence de multiplicité dans la représentation nationale ».
« La Parisienne », l’effortless
Quand on pense à la Parisienne, assure Alice Pfeiffer, on s’imagine une femme à peine coiffée, qui aurait emprunté un vêtement à son mec, qui fumerait en terrasse, avec son sac Chanel, juchée sur des hauts talons. Parfaite, éclatante, spontanée, elle donne l’impression de n’avoir fait aucun effort, incarne le fameux « I woke up like this ».
Un imaginaire qui pose problème pour une majorité de femmes qui n’ont ni le temps, ni la capacité et encore moins l’envie d’y correspondre. Un imaginaire revendiqué « effortless », mais qui en réalité, semble inatteignable. Ou atteignable, mais à quel prix ? Un imaginaire largement promu – d’autant plus à l’ère des influenceuses – par des personnalités à l’époque comme Jane Birkin ou Brigitte Bardot, et aujourd’hui par des Parisiennes 2.0 comme Jeanne Damas.
Je ne suis pas parisienne, alors qui suis-je ?
Du coup, Alice Pfeiffer écrit, pour déconstruire la Parisienne, mais aussi pour revendiquer sa propre non-appartenance. Une non-appartenance aux normes qui entourent la Parisienne, et qui, pendant de longues années, lui ont pesé lorsqu’elle écrivait pour la presse anglo-saxonne, friande des récits de ces Parisiennes – qui « ne grossissent pas » et ont toujours le teint frais. Il s’agit alors d’être tout sauf parisienne, du moins tout sauf celle que les publicités des industries de la mode et du luxe entretiennent.
Tour à tour, c’est finalement l’identité que questionne Alice Pfeiffer dans ce premier livre. Pourquoi n’y a-t-il pas de Marianne noire, demande-elle ? Pourquoi la Parisienne qu’on voit à la télé – près de la tour Eiffel ou sur les toits de l’Opéra de Paris – est-elle toujours jeune ? Pourquoi n’est-elle pas queer ? Les Parisiennes rondes ne portent-elles pas de parfums, de maquillage ? Sinon pourquoi ne seraient-elles pas représentées dans ces publicités forgeant l’image de la Parisienne ?
Hommage
Tant de questions, auxquelles la journaliste tente de répondre, à coup de références pop culture et d’autrices féministes célèbres de notre temps. De Loana à Mona Chollet, en passant par la célèbre marque Comptoir des Cotonniers et par ses propres soirées londoniennes quand elle était adolescente, Alice Pfeiffer rappelle à quel point ne pas être « la Parisienne » et ne pas tenter de s’y conformer, participe à créer un nouvel imaginaire, plus diversifié.
L’ouvrage s’impose alors comme un hommage. Un hommage aux femmes racisées, rondes, vieilles, LGBTQ+, juives… À toutes les femmes. Comme un moyen de créer un nouvel espace plus inclusif, d’affirmer une volonté de représenter ces femmes-là aussi, tout autant parisiennes si elles le souhaitent que n’importe quelle autre. Comme un rejet d’un récit unique – produit de consommation – qui ne permet pas la diversité. Qu’est-ce que ça signifie d’être française, d’être parisienne ? Pas de réponse universelle à travers Je ne suis pas parisienne, seules des pistes de réflexion qui – elle l’espère dans sa conclusion – ouvriront le pas à des identités moins stéréotypées.
Étudiante à Sciences Po âgée de 19 ans, Eléna est encore au début de son apprentissage féministe. C’est après avoir lu le poignant Bad Feminist de Roxane Gay en 2014 qu’elle commence à s’intéresser aux questions de genre. Depuis, les lectures se sont accumulées jusqu’à découvrir Virginie Despentes sur le tard. Révélation. Depuis, Eléna est membre de HeForShe, ce qui lui permet d’organiser quelques conférences en invitant des autrices féministes. Son objectif : approfondir ses lectures et poursuivre des études de sociologie de genre.