Algériennes est une bande dessinée scénarisée par Swann Meralli et dessinée par Deloupy, publiée en janvier 2018 aux éditions Marabout. Elle traite de la guerre d’Algérie, vue à travers les histoires enchevêtrées de plusieurs femmes qui l’ont vécue à des places différentes.
Tout commence avec la confrontation du personnage principal, Béatrice, au mutisme de son père, un ancien soldat français qui a effectué son service militaire en Algérie, entre 1954 et 1962. Bouillonnante d’interrogations et désarmée face à ce silence qui laisse trop de place aux doutes et à l’incompréhension, elle entreprend un voyage mémoriel jusqu’en Algérie qui la conduira à rencontrer plusieurs femmes qui lui livreront à la fois le récit d’une guerre qu’elles ont vécue différemment selon les positionnements politiques qu’elles avaient, leur place dans l’ordre social établi, et le témoignage de l’expérience singulière du conflit lorsque l’on est une femme. À ce titre, il est intéressant de noter que le nom donné à cet album universalise le terme « algériennes » en désignant ainsi des femmes qui ne sont pourtant pas forcément de nationalité algérienne. Un renversement est ainsi opéré puisque les femmes qui étaient considérées comme françaises musulmanes sont rétablies dans leur identité, et celles qui n’étaient pas indigènes sont absorbées dans la communauté des femmes algériennes. Comme une manière de signifier que, dans une certaine mesure, être une femme dans la guerre peut transcender certains clivages.
La narration qui consiste en un enchâssement de récits personnels se répondant les uns les autres n’a rien de particulièrement audacieux mais elle permet toutefois d’aborder un sujet qui par le tabou dont il est enveloppé, souffre de carence en termes de traitement et de visibilité. Il n’est pas exagéré de dire que les femmes occupent une place particulière dans les conflits armés. Elles se trouvent d’un côté ou de l’autre de la frontière politique délimitant les affrontements, mais en tant que femmes, elles sont exposée à des violences spécifiques de la part des ennemis et aussi parfois à une certaine violence morale de leur alliés masculins. Ces éléments sont présents dans la BD, et parfaitement illustrés dans une scène se déroulant au monument aux martyrs à Alger, dans lequel une ancienne combattante du FLN fait remarquer à Béatrice que dans tout le bâtiment, seul un petit couloir est consacré à l’hommage aux moudjahida (martyres). Les lecteurs·trices les plus avisé·es reconnaîtront sans doute, sous les traits de certains personnages fictifs, quelques figures révolutionnaires comme celles de Zohra Drif ou Djamila Bouhired.
Également, la question des méthodes de la France coloniale durant le conflit y est traitée sans ambages. En plus d’être évoqués, la torture, le viol et les humiliations sont clairement exposés et l’on découvre par la même certaines stratégies adoptées par les femmes pour y échapper. Pour autant, cette BD ne s’enferme dans un manichéisme simpliste et tente de restituer habilement la complexité de cette guerre, et les difficultés de positionnement rencontrées tant par les colons que par les Algériens. Encore une fois, les sujets dits « sensibles » ne sont pas éludés, comme en témoigne le récit d’une descendante de harkis, qui nous permet de mesurer la diversité des motifs qui ont conduit certains Algériens à s’engager dans la voie du fratricide. Des changements de perspectives sont aussi offerts et permettent de comprendre que, loin de former un bloc monolithique, l’ANL connaissait des dissensions importantes à l’époque de la guerre d’indépendance qui ont parfois fragilisé leurs actions et se sont souvent matérialisées par des mesures prises au détriment des femmes combattantes.
Finalement, cette BD, en tentant de restituer une histoire, forcément partielle, des femmes dans le conflit franco-algérien permet d’amorcer tout une réflexion sur la place des femmes dans la guerre et de réactualiser ses connaissances sur un conflit que l’on évoque trop souvent de façon timorée. Les femmes ici deviennent le point d’ancrage d’une pensée complexe qui disqualifie les considérations générales, approximatives et binaires en gardant toujours le lecteur alerte grâce à une narration fluide et captivante.
Féministe parce que humaniste, Myriam vit pour apprendre et envisage les livres comme une fenêtre ouverte sur la richesse du monde. Elle souhaite partager cela pour distiller le bonheur de la découverte le plus largement possible.