« Merde ! L’année prochaine pas de boutiques, pas de famille… PAS DE NOËL ! MERDE ! Y’a que les mômes et les arriérés qui aiment ces conneries… »
Bitchy Bitch, quel nom parfait pour une héroïne ! Jalouse de ne pas l’avoir trouvé, ce nom.
Bitchy Bitch, c’est la femme hurlante en chacune de nous, la gueule défaite de toutes nos colères, de toutes nos névroses, le monstre banal et beau et tellement humain enfanté par cette société sexiste et conservatrice aux mille injonctions contradictoires – sois une vraie femme ma fille, sois séduisante mais pas vulgaire, ne me demande surtout pas de te parler de sexualité mais ne tombe pas enceinte, et si tu tombes enceinte n’avorte surtout pas, travaille dur mais sois épanouie, va à la messe mais ne perd pas ton temps à croire à quoi que ce soit…
Ah comme parfois j’imagine ma Bitchy Bitch intérieure, avec son visage-gribouilli ponctuant d’un « merde ! » bien senti toutes mes pensées de colère ou de frustration.
Merci Roberta Gregory, merci de t’être si longtemps obstinée dans l’ombre, publiant tes dessins sublimes dans des comix lesbiens et féministes tout en supportant des jobs alimentaires ingrats pendant deux décennies (de type se farcir toute la misogynie de Crumb en photographiant l’intégral de ses BD) avant que, au début des 90’s, n’entre dans la lumière ta glorieuse héroïne, aigrie et complètement névrosée, face au machisme, à la violence, à l’hypocrisie larvées dans les familles, les écoles, les entreprises… Merci à Midge McCracken, alias B.B., de désintégrer si joyeusement l’image de la femme douce, emphatique, dévouée et séduisante.
En quelques traits, Roberta Gregory dessine des personnages tous plus insupportables les uns que les autres, la collègue tyrannique de pensée positive et ses deux grands yeux bavant de bienveillance, le père-mâchoire complètement absent, passif, vide, passant son temps à aboyer et déverser sa haine des femmes sur sa fille, le tonton pédophile qui n’est qu’une paire de grosses mains dégueulasses, et surtout la mère, une bouche posée sur une choucroute, parfois des yeux de vieille biche, mais toujours incomplète, défaillante dans le dessin, défaillante d’égoïsme, de paraître et de déni.
L’autrice déglingue coup sur coup les trois générations qu’elle a connues, la middle class californienne catho faux derch broyant dans l’œuf tout élan créatif et mystique de la petite bitchy, encore tendre et pleine d’espoir, le gros porc à cheveux longs qui profite de la libération sexuelle et des drogues pour abuser de l’innocente Hippie Bitch (mention spéciale au récit de son terrible avortement clandestin), ou encore le monde ultra corporate et hypocrite dans lequel Bitchy Bitchy devenue trentenaire est condamnée à suffoquer pour toujours…
C’est dur, c’est méchant, c’est drôle et jouissif. Alors ruez-vous telles des chiennes hurlantes chez votre libraire pour découvrir ou redécouvrir cette œuvre agressive et libératrice, et s’il ne l’a pas en rayon, merde, c’est quoi cette librairie !?
Cet article est inspiré du tome 1 des aventures de Bitchy Bitch aux éditions Bethy, qui est lui-même une compilation de strips publiés dans la revue Naughty Bits. Deux autres tomes existent aux éditions Vertige Graphic.
Féminazi bouddhiste et anarchiste, Charlotte déteste les mots en « iste ». Elle préfère les longues promenades dans la campagne normande, les haïkus et le métal indus.