Signé des autrices Estérelle Payany, journaliste et écrivaine culinaire, et Vérane Frédiani, scénariste et documentariste, et publié aux éditions Nouriturfu – chez qui est aussi paru Faiminisme – Quand le sexisme passe à table, de Nora Bouazzouni –, l’ouvrage Cheffes est à la croisée entre guide culinaire pratique, avec plus de 550 adresses, et manifeste féministe. Le terme “chef”, elles se le réapproprient ici au féminin, et le passent au pluriel, pour embrasser des réalités multiples, mais toujours avec le même leitmotiv : bienveillance, sororité et fierté.
Le monde de la gastronomie ne brille pas par son ouverture et peu de femmes tirent leur épingle du jeu dans cette profession encore très masculine. Des concours et grands guides, qu’il s’agisse du Michelin ou du 50 Best, qui décerne le controversé ”prix de la femme cheffe de l’année”, aux grandes cuisines, les cheffes sont souvent invisibilisées, manquent cruellement de reconnaissance ou ont une place encore à part. Dès l’introduction, les autrices soulignent une réalité dérangeante : sur 621 étoilés en France en 2018, moins de 20 établissements avaient une cheffe à la tête d’une brigade.
Elles reviennent également sur la dichotomie paradoxale entre femme en cuisine dans les ménages et femme en cuisine dans la restauration : dans une société patriarcale, il serait “naturel” pour une femme de faire à manger, de tenir le rôle de “mère nourricière”, la nourriture ayant cette dimension fédératrice, réconfortante, tandis que la cuisine en tant que profession, et par extension l’excellence de la haute gastronomie, serait un monde réservé aux hommes. À bon escient, le guide rappelle que savoir cuisiner n’est pas inné chez les femmes et que les cheffes ont tout autant de mérite, si ce n’est plus, que leurs homologues masculins.
Car ce guide tend justement à démontrer que les femmes en cuisine ne sont pas une minorité et qu’elles sont nombreuses, malgré leur manque de médiatisation, à exercer ce métier. Pour ce faire, les autrices ont eu une approche 2.0 puisqu’elles ont lancé un appel sur les réseaux sociaux, en plus de leurs recherches personnelles, pour dénicher des femmes “qui font la différence” aux fourneaux d’établissements aux quatre coins de l’Hexagone et donner un coup de projecteur sur leur cuisine, leur histoire.
Loin d’être parisiano-centré, ce qui est appréciable, le guide propose ainsi une liste par région des meilleurs restaurants tenus par des femmes, mais aussi des portraits de cheffes qui illustrent la pluralité des profils et des approches culinaires. Entre témoignages de figures féminines, sous l’égide de la grande cheffe Anne-Sophie Pic, qui signe une préface émouvante sur son cheminement en tant que femme dans la haute gastronomie et son rapport à ses pairs masculins, et répertoire d’adresses qui sortent des sentiers battus, à découvrir partout en France, Cheffes participe de ce mouvement nécessaire de mise en lumière et revalorisation du travail des femmes, par des femmes. Comme l’écrivent si bien Estérelle Payany et Vérane Frédiani : “Cette solidarité féminine, véritable sororité, fait du bien et est particulièrement efficace. La révolution ne se fera que toutes ensemble.” Un livre qui donne la banane, à dévorer sans attendre.
Océane est l’équivalent bibliophile d’une “femme à chats” : elle a beaucoup (trop) de livres et mourra entourée par eux. Et ça lui va très bien. Puisque le combat féministe se mène partout, mais qu’il est particulièrement beau et fort quand il se couche sur le papier, elle est heureuse de pouvoir apporter sa (petite) pierre à l’édifice en prenant à son tour sa plume pour mettre en lumière l’œuvre de femmes.