La terreur masculiniste, de Stéphanie Lamy : le masculinisme tue (tous les jours)

Le masculinisme est à la mode : entre la série Netflix « Adolescence » qui montre les ravages de cette idéologie chez les jeunes garçons et les gugus au pouvoir aux États-Unis et ailleurs, on la voit partout. Mais on ne sait pas toujours l’identifier. Et peu d’efforts sont faits pour en comprendre la dangerosité.

Heureusement, Stéphanie Lamy s’est mise au travail et a plongé dans les tréfonds des différents courants masculinistes. Comme elle dit : « Proposer une classification des diverses composantes de ces offres radicales est en soi un acte militant féministe ». Ce qu’on y lit, c’est toute une gamme de haines des femmes et de stratégies pour mettre en place un régime politique où les femmes sont des citoyennes inférieures. La définition que donne l’autrice du masculinisme et qui permet de commencer à réfléchir sérieusement est :

« un ensemble d’offres idéologiques identitaires, construites, diffusées et conduites au sein de divers milieux de radicalisation (on/off line), qui prônent la violence sous toutes ses formes, afin de maintenir, voire renforcer, la domination des hommes sur les femmes et les minorités de genre ».

Alors, il y a les tradis, les primitifs, les relationnistes et les performatifs (tous composés de sous-catégories). La haine des femmes s’exprime de multiples manières avec ceux qui veulent les manipuler pour obtenir du sexe et ceux qui pensent qu’ils ont droit au sexe, ou avec ceux qui ne veulent plus du tout interagir avec les femmes. Mais au bout du compte, il y a toujours la violence contre les femmes comme méthode pour imposer un nouveau mode de relationner.

Avant d’avoir lu l’essai de Stéphanie Lamy, j’avais vu des vidéos de mascus sur les réseaux sociaux, ça m’avait effrayée mais aussi amusée, comme si c’était trop marginal pour être dangereux. Sauf qu’en fait, c’est des millions de dollars par an de revenus et des milliers d’hommes contaminés par ces théories pleines de haines et de violence. Le masculinisme tue, tous les jours, et pourrait être catégorisé de terrorisme si les pouvoirs publics s’emparaient de la question. Mais « où sont les femmes qui décident de la stratégie de lutte contre le terrorisme en France ? ». Pour l’autrice, les violences faites aux femmes ne sont pas prises assez au sérieux, en France et ailleurs. Elle utilise la notion de sécuritisation, pour mettre en avant comment les politiques mettent l’accent sur des dangers qu’ils choisissent (par exemple l’immigration) au détriment d’autres qui tuent bien plus (les féminicides). Étudier les violences faites aux femmes comme un vrai enjeu de sécurité et non comme un fait-divers tragique permettrait de lutter plus efficacement contre ces violences. Et pourquoi donc alors ce sujet n’est-il pas sécuritisé ? Pour répondre à cette question, Stéphanie Lamy emploie l’expression « antiféminisme institutionnel », c’est-à-dire le fait que le pouvoir, et même le président Emmanuel Macron « mobilise un langage de militarisation de la démographie avec des termes tels que « réarmement démographique », ou qui sur-responsabilise les mères célibataires quant aux révoltes urbaines, en absence de réponse politique sur la condition des cheffes de famille, leur impose un « devoir de visite » de leur ex-conjoint. » Emmanuel Macron c’est aussi celui qui défend Depardieu de la pire manière possible et qui pense qu’il suffit d’avoir une conversation « d’homme à homme » avec Darmanin. Peu de chances en effet que les choses changent, quand on voit que Donald Trump a sauvé la mise à Andrew Tate, célèbre mascu mis en examen en Roumanie pour viols et traite d’êtres humains, que Darmanin est maintenant ministre de la Justice, et que la Hongrie constitutionnalise les discriminations contre les LGBTQIA+. Parce que Stéphanie Lamy montre avec beaucoup de sources, de chiffres et d’arguments que le masculinisme marche main dans la main avec le suprémacisme raciste et la haine de toutes les minorités de genre. On peut prendre par exemple Elon Musk et son suprémacisme blanc qui accompagne une transphobie extrême.

Ce livre est important pour la lutte féministe même si c’est une lecture difficile. Il nous donne des pistes pour lutter contre cette idéologie dangereuse. Il nous reste aussi, à nous, à réfléchir à ce que nous pouvons faire. Comment résister ? Comment construire un monde plus sûr pour les femmes, les filles et toutes les minorités de genre ? La série « Adolescence » montre des parents désemparés par les actes de leur fils, et la fin du dernier épisode est très fort. Le Parisien a sorti un papier sur des parents qui ont honte de leur fils mascu. Et de nombreux parents ont contacté la Midiluves pour des dérives sectaires masculinistes.

Comment fait-on pour ne pas en arriver là ? Et comment faire pour combattre des groupes d’hommes extrêmement organisés et coordonnés qui font régner la terreur en ligne et dans la vraie vie ? Certains et certaines ont pris le parti d’en rire sur les réseaux sociaux comme Thomas Piet et Axel Lattuada ou Abrège Soeur qui se prend actuellement une vague de haine sur les réseaux sociaux pour avoir moqué les vidéos de mascus. En effet, les excès peuvent prêter à rire : la dernière tendance est de se couper les cils qui seraient trop féminins. Mais en réalité, le vrai moyen de les combattre, c’est aussi de comprendre que les masculinismes ne sont pas uniquement des fous furieux à l’écart du monde et de la société. Le sexisme ne mène pas forcément au masculinisme et le masculinisme ne mène pas toujours au terrorisme, mais toute cette ambiance permet de normaliser certains propos, certains actes et comme le dit Stéphanie Lamy, ce sont les hommes qui tracent la ligne entre ce qui est possible ou pas. Et ils vont toujours la tracer de manière à être du bon côté de la ligne. Elle cite la comédienne australienne Hannah Gadsby qui dit brillamment :

« Ce monde est un monde plein d’hommes bons qui font de très mauvaises choses et qui croient toujours au plus profond de leur cœur qu’ils sont des hommes bons parce qu’ils n’ont pas franchi la ligne, parce qu’ils la déplacent dans leur propre intérêt. Les femmes devraient (sans aucun doute) contrôler cette ligne ».

Oui, la tâche est immense, et cela s’annonce difficile.