Depuis quelques mois, ou tout au plus quelques années, des voix s’élèvent contre les maltraitances gynécologiques. Pourtant, il y a plus de dix ans, en 2009, Martin Winckler, médecin féministe et romancier français, publiait Le Chœur des femmes, véritable plaidoyer pour le respect de la patiente.
« Soigner ce n’est pas une relation de pouvoir »
Jane Atwood, brillante interne en médecine, se destine à la chirurgie gynécologique réparatrice. Mais pour valider son internat, elle doit effectuer à contre-cœur un stage à l’Unité 77, au service « médecine de la femme », une structure attenante à la maternité de Tourmens, à mi-chemin entre le cabinet de gynécologie et le planning familial.
Le chef de service « médecine de la femme » est le docteur Franz Karma, surnommé « Barbe bleue« , pourtant parfait contraire du praticien froid et condescendant par son savoir qu’il estimerait supérieur à celui de son patient, auquel s’identifie Jane. Mais l’hostilité des débuts va finalement se muer en admiration et en amitié réciproque à force de pédagogie et de bienveillance de la part de Karma.
Le mépris qu’affiche Jane envers les femmes au début du livre laisse à penser qu’elle pourrait être un homme. Elle est pourtant bien une femme et son sexe sera d’ailleurs partie prenante de l’intrigue qu’on se gardera de révéler en totalité. Et si ses attitudes et ses propos sont souvent stéréotypés, « J’ai beau être une bonne femme […], moi les histoires de gonzesses ça ne m’intéresse pas plus que ça », ils le sont surtout pour être mis en opposition avec le discours féministe de Karma, avatar de Winckler.
Les rebondissements sont également attendus, parfois convenus, mais Le Chœur des femmes vaut beaucoup plus pour l’éclairage médical et militant que pour son intrigue assez peu subtile.
« Ce qu’une femme ressent est plus important que ce tu sais. Et ce que tu crois compte beaucoup moins que ce qu’elle ne dit pas. »
Avoir préféré la forme fictionnelle à celle de l’essai par exemple a permis de démocratiser ce combat, alors qu’il était encore largement tabou et a permis à de nombreuses lectrices (et espérons lecteurs) de s’en emparer, certainement davantage que s’il avait été un texte scientifique.
« Ce livre est un roman : les personnages, l’Unité 77, la ville de Tourmens, son CHU et les événements qui s’y déroulent sont imaginaires. Mais presque tout le reste est vrai. » Si le livre est un roman, comme l’annonce l’auteur en préface, il est également comme une sorte d’essai écrit à 1 000 mains puisque Martin Winckler s’est inspiré de ce qu’il a pu entendre en salle de consultation mais aussi des témoignages recueillis sur son site internet Winckler’s Webzine (http://www.martinwinckler.com/) : expériences de maltraitance obstétrique qui font froid dans le dos ou soignants humiliants et silencieux qui pratiquent des gestes douloureux sans aucune forme de pédagogie ou de bienveillance.
Par la voix de Franz Karma, Martin Winckler déconstruit les idées reçues sur la médecine de la femme, les frottis, « Vous savez tous les trois ans, c’est largement suffisant », les consultations gynécologiques, « L’activité sexuelle des femmes ne nous regarde pas », les examens à l’anglo-saxonne pratiqués sur une patiente allongée sur le côté, « Pour un certain nombre d’entre elles, c’est plus pudique que de regarder le médecin s’afférer entre leurs cuisses » ou bien encore le DIU (dispositif intra-utérin) « Donner une méthode de contraception qui dure douze ans sans avoir la main mise sur les femmes c’est pas enthousiasmant. C’est tellement plus gratifiant de les obliger à revenir deux fois par an […]. »
« Je connais des hommes d’une extrême délicatesse et des femmes qui sont de vrais bourreaux. »
La posture initiale de Jane incarne quant à elle toutes les dérives du corps médical, formé « dans les foutues facultés françaises (où) on déforme les médecins au point qu’ils s’imaginent qu’une fois leur diplôme en poche, qu’ils savent tout et qu’ils n’ont plus rien à apprendre ». Elle va pourtant évoluer au contact de Karma pour s’initier à une médecine plus douce, plus bienveillante et respectueuse de la femme, de son corps, de son intimité, de ses choix mais aussi de ses douleurs. « Les livres de médecine ne parlent jamais des douleurs provoquées par les gestes des médecins. Et beaucoup de médecins pensent que ‘si c’est pour le bien des patientes’, la douleur est justifiée. Aucune douleur n’est justifiée. Jamais. Et la moindre des choses pour un soignant est de tout mettre en œuvre pour ne pas faire mal. », lui enseignera notamment son mentor.
Le Chœur des femmes est une fiction, pas nécessairement des plus réussies, mais ce livre est néanmoins d’utilité publique et devrait être au programme de toutes les écoles de médecine et d’obstétrique, notamment pour former « des soignants désireux que les femmes accouchent avec l’aide des soignants et non sous leur autorité. »
Un livre publié en 2009 aux éditions P.O.L. et disponible en poche